<277>mérite, la flatterie est comme une rouille qui s'attache à leur gloire, et qui en diminue l'éclat. Un homme d'esprit se révolte contre la flatterie grossière; il repousse l'adulateur qui d'une main maladroite lui donne de l'encensoir au travers du visage. Il faudrait une crédulité infinie sur la bonne opinion qu'on a de soi-même pour souffrir la louange outrée; il faudrait même que cette crédulité fût superstitieuse; cette sorte de louange est la moins à craindre pour les grands hommes, car ce n'est pas le langage de la conviction. Il est une autre sorte de flatterie : elle est la sophiste des défauts et des vices; sa rhétorique diminue et amoindrit tout ce que son objet a de mauvais, et l'élève, par cette voie indirecte, à la perfection. C'est elle qui fournit des arguments aux passions, qui donne à la cruauté le caractère de la justice, qui donne une ressemblance si parfaite de la libéralité à la profusion, qu'on s'y méprend, et qui couvre les débauches du voile de l'amusement et du plaisir; elle amplifie même les vices étrangers, pour en ériger un trophée à ceux de son héros; elle excuse tout, elle justifie tout. La plupart des hommes donnent dans cette flatterie qui justifie leurs goûts et leurs inclinations. Il faut avoir poussé d'une main hardie la sonde jusqu'au fond de ses plaies pour les bien connaître, et il faut avoir la fermeté de se dire qu'on a des défauts qu'il faut corriger, pour résister à la fois à l'avocat insinuant de ses passions et pour se combattre soi-même. Il se trouve cependant des princes d'une vertu assez mâle pour mépriser cette sorte de flatterie; ils ont assez de pénétration pour apercevoir le serpent venimeux qui rampe sous les fleurs; et, nés ennemis du mensonge, ils ne le souffrent pas même en ce qui peut plaire à leur amour-propre, et en ce qui caresse le plus leur vanité.

Mais s'ils haïssent le mensonge, ils aiment la vérité, et ils ne sauraient avoir une rigueur semblable pour ceux qui leur disent un bien d'eux-mêmes dont ils sont convaincus. La flatterie qui se fonde sur une base solide est la plus subtile de toutes; il faut avoir le discernement très-fin pour apercevoir la nuance qu'elle ajoute à la vérité. Elle ne fera point accompagner un roi à la tranchée par des poëtes qui doivent être les historiens et les témoins de sa valeur; elle ne composera point des prologues d'opéra