<24>nière absolue dont l'ambassadeur de France s'y est pris dans les affaires de Genève. Qu'on jette les yeux sur le mémoire9 que M. de Fénelon a présenté aux états généraux à la Haye, touchant la succession de Juliers; qu'on se rappelle les disputes puériles10 entre cet ambassadeur et celui d'Angleterre sur une préséance aussi singulière que nouvelle, et on pourra découvrir, à tant de traits ressemblants, des desseins aussi ambitieux chez ces modernes que chez les anciens, des vues aussi étendues chez les uns que chez les autres, enfin un rapport exact entre la conduite de la France et celle de Philippe, roi de Macédoine, ainsi qu'entre la France et la république romaine.

Il est facile de remarquer, par ce qu'on vient de voir, que le corps politique de l'Europe est dans une situation violente : il est comme hors de son équilibre, et dans un état où il ne peut rester longtemps sans risquer beaucoup. Il en est comme du corps humain, qui ne subsiste que par le mélange de quantités égales d'acides et d'alcalis; dès qu'une de ces deux matières prédomine, le corps s'en ressent, et la santé en est considérablement altérée. Et si cette matière augmente encore, elle peut causer la destruction totale de la machine. Ainsi, dès que la politique et la prudence des princes de l'Europe perd de vue le maintien d'une juste balance entre les puissances dominantes, la constitution de tout ce corps politique s'en ressent : la violence se trouve d'un côté, la faiblesse de l'autre; chez l'un, le désir de tout envahir, chez l'autre, l'impossibilité de l'empêcher; le plus puissant impose des lois, le plus faible est dans la nécessité d'y souscrire; enfin tout concourt à augmenter le désordre et la confusion; le plus fort, comme un torrent impétueux, se déborde, entraîne tout, et expose ce malheureux corps aux révolutions les plus funestes.

Ce sont là, en peu de mots, les considérations que m'a fournies l'état présent de l'Europe. Si quelque puissance trouve que je me suis expliqué avec trop de liberté, elle doit savoir que le


10 Cette dispute venait de ce que, à un festin que donnaient les états généraux, se trouvèrent MM. les ambassadeurs de France et d'Angleterre : l'Anglais porta la santé de l'Empereur ou celle de la prospérité des états généraux; M. de Fénelon dit que c'était à lui à porter cette santé; la chose alla fort loin. On appelle cette dispute la guerre du buffet. Celte histoire est généralement connue.

9 A la fin de ce traité.