<187>les héros; la différence qu'il y a entre eux, c'est que le conquérant est un voleur illustre, qui frappe par la grandeur de ses actions, et qui se fait respecter par sa puissance, et que le voleur ordinaire est un faquin obscur, qu'on méprise d'autant plus qu'il est abject; l'un reçoit des lauriers pour prix de ses violences, l'autre est puni du dernier supplice. Nous ne jugeons jamais des choses par leur juste valeur, une infinité de nuages nous éblouissent, nous admirons dans les uns ce que nous blâmons dans les autres, et pourvu qu'un scélérat soit illustre, il peut compter sur les suffrages de la plupart des hommes.

Quoiqu'il soit vrai, toutes les fois que l'on voudra introduire des nouveautés dans le monde, qu'il se présentera mille obstacles pour les empêcher, et qu'un prophète à la tête d'une armée fera plus de prosélytes que s'il ne combattait qu'avec des arguments in barbara ou in ferio (marque de cela que la religion chrétienne ne se soutenant que par les arguments fut faible et opprimée, et qu'elle ne s'étendit en Europe qu'après avoir répandu beaucoup de sang), il n'en est pas moins vrai que l'on a vu donner cours à des opinions et à des nouveautés avec peu de peine. Que de religions, que de sectes ont été introduites avec une facilité infinie! Il n'y a rien de plus propre que le fanatisme pour accréditer des nouveautés, et il me semble que Machiavel a parlé d'un ton trop décisif sur cette matière.

Il me reste à faire quelques réflexions sur l'exemple d'Hiéron de Syracuse, que Machiavel propose à ceux qui s'élèveront par le secours de leurs amis et de leurs troupes.

Hiéron se défit de ses amis et de ses soldats, qui l'avaient aidé à l'exécution de ses desseins; il lia de nouvelles amitiés, et il leva d'autres troupes. Je soutiens, en dépit de Machiavel et des ingrats, que la politique d'Hiéron était très-mauvaise, et qu'il y a beaucoup plus de prudence à se fier à des troupes dont on a expérimenté la valeur, et à des amis dont on a éprouvé la fidélité, qu'à des inconnus desquels l'on n'est point assuré. Je laisse au lecteur à pousser ce raisonnement plus loin; tous ceux qui abhorrent l'ingratitude, et qui sont assez heureux pour connaître l'amitié, ne resteront point à sec sur cette matière.

Je dois cependant avertir le lecteur de faire attention aux sens