<IX>

AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

Ce dernier volume des Œuvres historiques de Frédéric le Grand se divise en deux parties principales : la première, composée de huit Éloges, est biographique et se rattache à certains égards aux ouvrages que le Roi a composés sur l'histoire de son règne; la seconde est formée de quatre morceaux, sur la guerre, la littérature, la philosophie, et l'histoire de l'Eglise.

Toutes ces pièces ont été publiées par le Roi lui-même, mais séparément et sous le voile de l'anonyme. L'Éloge de Jordan et celui du baron de Goltz se trouvent dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Au donjon du château. Avec privilége d'Apollon. 1750, in-4, t. III, p. 231 et 245. L'authenticité des Éloges de Stille et de Knobelsdorff résulte de la lettre écrite à Frédéric par le comte Algarotti, le 8 mai 1754; Formey certifie celle des Éloges de Duhan, de Knobelsdorff, de La Mettrie et de Voltaire, dans l'Introduction de la Correspondance de Frédéric II avec M. Duhan de Jandun. A Berlin, 1791, p. 7; celle des Éloges du prince Henri et de Voltaire est constatée par l'ouvrage de Thiébault, Frédéric le Grand, ou Mes souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin. 4e édition, Paris, 1827, t. I, p. 79-83, et p. 99. Il est encore fait mention de l'Éloge du prince Henri dans la correspondance du Roi avec d'Alembert (Œuvres posthumes, t. XI, p. 23 et 26; t. XIV, p. 65 et 69); dans la Corres<X>pondance avec le marquis d'Argens (t. II, p. 489 et 491); et dans les Mémoires du général Fouqué, par Büttner (t. II, p. 218). L'Éloge de Voltaire fut annoncé par le Roi à d'Alembert dans le courant de septembre 1778, et il lui fut envoyé plus tard (Œuvres posthumes, t. XV, p. 109; t. XII, p. 35).

Les Éloges de Jordan, de Goltz et de La Mettrie furent lus à l'Académie des sciences par le conseiller intime Darget : celui de Jordan le 24 janvier 1746; celui de Goltz, d'après les Berlinische Nachrichten, le 30 mai 1748; celui de La Mettrie le 24 janvier 1752. L'Éloge de Stille et celui de Knobelsdorff furent lus par l'abbé de Prades, l'un le 24 janvier 1753, l'autre le 24 janvier 1754. Le professeur Thiébault lut ceux de Voltaire et du prince Henri, le premier le 26 novembre 1778, et celui-ci le 30 décembre 1767, anniversaire de la naissance du prince dont on déplorait la perte. Comme Formey, secrétaire perpétuel, avait déjà prononcé devant l'Académie l'Éloge de Duhan, il ne fut pas fait lecture de celui dont le Roi était l'auteur.

Selon M. de Catt, le Roi écrivit l'Éloge de Voltaire du 14 septembre au 15 octobre 1778, aux camps d'Altstadt, de Trautenbach et de Schatzlar, éloigné de sa bibliothèque; c'est ainsi que, dans sa jeunesse, voyageant dans la province de Prusse, il avait achevé son Avant-propos sur la Henriade de M. de Voltaire aux haras de Trakehnen, le 10 août 1739.

Le Roi a fait imprimer la plupart de ces Éloges dans l'Histoire de l'Académie royale des sciences et belles-lettres, savoir : ceux de Jordan et de Duhan, Année 1746, p. 457 et 475; celui de Goltz, Année 1747, p. 9; celui de La Mettrie, Année 1750, p. 3; celui de Stille, Année 1751, dernière section, intitulée Classe de belles-lettres, p. 152; enfin, celui de Knobelsdorff, Année 1752, p. 1. L'Éloge du prince Henri et celui de Voltaire parurent séparément, à Berlin, l'un chez Voss, 1768, l'autre chez Decker, 1778, in-8, après avoir été lus à l'Académie. On sait déjà que les Éloges de Jordan et de Goltz furent réimprimés dans les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci.

L'Éloge de Duhan a été omis dans le troisième volume des Œuvres de Frédéric II, publiées du vivant de l'Auteur, où il devrait naturellement se trouver avec les autres ouvrages de ce genre. Formey l'a placé dans la Correspondance de Frédéric avec Duhan, p. 19, à la <XI>suite de celui qu'il avait composé de son côté. Le rapprochement des deux écrits avait pour but de montrer le parti que le Roi avait tiré du travail de Formey sur le même sujet. C'est dans une intention semblable que ce savant a réimprimé son Éloge de Jordan à la page 46 du t. I de ses Souvenirs d'un citoyen. A Berlin, 1789. Il dit, p. 45, qu'il avait prié M. Darget de mettre le manuscrit de cet Éloge sous les yeux du Roi; puis il ajoute, sous le texte, la note suivante : « Le Roi garda mon manuscrit pour se servir des dates et du fil historique des faits; après quoi il donna carrière à son imagination. » Formey dit aussi, dans l'Introduction de la Correspondance de Frédéric avec Duhan, que son Éloge du baron de Knobelsdorff avait été approuvé par le Roi, et que ce prince, néanmoins, en avait lui-même fait un autre.

On voit, par le mouvement oratoire qui règne dans l'Éloge du prince Henri, combien l'Auteur connaissait les grands orateurs sacrés de la France, et particulièrement Bossuet.

On a souvent attribué au Roi et inséré dans ses ouvrages authentiques l'Éloge de son ami intime le colonel Didier baron de Keyserlingk, et celui de Gaspard-Guillaume de Borcke, ministre d'État; mais ils sont du président de Maupertuis, ainsi que Formey l'atteste dans l'Histoire de l'Académie royale des sciences et belles-lettres. (Seconde édition) A Berlin, 1752, in-4, p. 318.

Nous avons suivi dans notre édition, pour les Éloges de Jordan et de Goltz, le texte des Œuvres du Philosophe de Sans-Souci; pour les Éloges de Duhan, de La Mettrie, de Stille et de Knobelsdorff, celui des Mémoires de l'Académie des sciences. Quant aux Éloges du prince Henri et de Voltaire, nous ne faisons que reproduire le texte des éditions originales ci-dessus mentionnées.

La plupart des éditeurs des Œuvres de Voltaire ont cru honorer leur auteur en donnant l'Éloge que Frédéric avait consacré à sa mémoire. M. Beuchot l'a également placé dans la sienne (t. I, p. 5), en y ajoutant, comme les éditeurs de Kehl, l'Éloge de Voltaire par M. de La Harpe, dont l'auteur avait lu des fragments dans la séance de l'Académie française du 20 décembre 1779.

Ce fut au commencement du mois d'octobre 1759 que l'idée vint au Roi d'écrire sur Charles XII. Il était avec son armée en <XII>Silésie, sur les lieux que la retraite de Schulenbourg devant le roi de Suède a rendus célèbres (t. V, p. 28). Le 15 novembre, le Roi confia au marquis d'Argens le soin de faire imprimer son travail, et celui-ci lui répondit le 17 : « Je donnerai à cet ouvrage la forme in-quarto, pour qu'il puisse être joint à vos autres ouvrages historiques et à votre poëme sur l'Art de la guerre. » Les Réflexions sur les talents militaires et sur le caractère de Charles XII, roi de Suède, parurent le 8 janvier 1760, trente-trois pages petit in-4, sans indication de l'année, du lieu d'impression ni du nom de l'auteur. Elles furent tirées à un petit nombre d'exemplaires que le Roi destinait à ses frères, à ses amis et à ses officiers les plus distingués, comme on le voit par le commencement de sa lettre au marquis d'Argens datée de Freyberg, janvier 1760 : « J'oubliai, en vous écrivant dernièrement, mon cher marquis, de vous prier de faire remettre à mon frère Ferdinand et au général Seydlitz, qui est blessé et se fait guérir à Berlin, un exemplaire à chacun de mon Charles XII. C'est une petite attention qui peut-être leur fera plaisir. » Le général Fouqué reçut la même faveur. La bibliothèque des archives royales de l'État et du Cabinet possède (M. 66) le seul exemplaire original de cet ouvrage que nous connaissions. Au bas du frontispice, à droite, on lit l'inscription suivante, écrite par un secrétaire et signée de la main du colonel Henri-Guillaume d'Anhalt ( t. V, p. 115, et t. VI, p. 166) : « C'est un présent du Roi mon maître, et le même jour, le général Seydlitz a aussi reçu un tel exemplaire à Sans-Souci, le 15 septembre 1767. Wilhelm d'Anhalt. »

Nous reproduisons exactement cette édition originale; car celle de 1786, soixante-quatorze pages petit in-8, avec l'inscription « De main de maître, » mais sans désignation de lieu d'impression ni de libraire, n'est qu'une contrefaçon retouchée, qu'ont suivie les éditeurs des Œuvres de Frédéric II, publiées du vivant de l'Auteur, en y ajoutant quelques nouvelles corrections. Ainsi, au lieu des mots « d'approfondir les causes de ses infortunes, » qui se trouvent dans l'original (p. 82 de notre édition), on lit dans les éditions de 1786 et de 1789  : « d'approfondir les causes de ses succès et de ses infortunes; » après « un vaste champ » (p. 84 de notre édition), les nouveaux éditeurs ont ajouté les mots « aux remarques; » après la <XIII>phrase terminée par « tombait de lui-même » (p. 86 de notre édition), ils ont intercalé les mots « et Charles pouvait le détrôner à son aise, » qui ne se trouvent pas dans l'édition originale.

Nous réimprimons aussi l'édition originale du traité intitulé : De la littérature allemande; des défauts qu'on peut lui reprocher; quelles en sont les causes; et par quels moyens on peut les corriger. A Berlin, chez G.-J. Decker, imprimeur du Roi, 1780, quatre-vingts pages in-8. C'est M. Thiébault qui avait été chargé de l'impression de cet ouvrage, dont il fait mention dans le premier volume de ses Souvenirs, 4e édition, p. 98. Au mois de janvier 1781, le Roi envoya son traité à d'Alembert, qui, dans sa lettre de remercîment, datée du 9 février, fit remarquer au Roi qu'il commettait une erreur en croyant (p. 119 de notre édition) que les Pensées de Marc-Aurèle et le Manuel d'Épictète avaient été écrits en latin. Dans une lettre au Roi, du 19 mars 1781, où il prend la défense de la littérature allemande, le baron Grimm relève la même méprise en ces termes : « Marc-Aurèle Antonin dédaignait d'écrire en latin et écrivait en grec. » M. de Hertzberg a composé sur ce traité un opuscule intitulé : Histoire de la Dissertation sur la littérature allemande publiée à Berlin en 1780. Il est joint aux Huit Dissertations de ce ministre d'État, Berlin, 1787, p. 39-58. Les assertions contenues dans la dissertation de Frédéric sur la littérature allemande ont donné naissance à plusieurs ouvrages dont on peut voir le catalogue dans J.-D.-E. Preuss, Friedrich der Grosse als Schriftsteller, p. 344-348.

Enfin, nous suivons les éditions originales de l'Avant-propos de l'Extrait de Bayle, qui est proprement le panégyrique de ce philosophe, ainsi que de l'Avant-propos de l'Abrégé de Fleury, résumé succinct des recherches du Roi sur l'histoire ecclésiastique.

Frédéric avait déjà voulu faire rédiger l'Esprit de Bayle en 1750. Le 9 octobre 1764, il écrivit à la duchesse de Gotha : « Je fais un extrait de tous les articles philosophiques de Bayle, dont on fera une édition in-8. » Peu après, il soumit l'Avant-propos de cet ouvrage à l'examen de d'Alembert; l'envoi était accompagné d'une lettre qu'on a retrouvée dernièrement aux archives royales du Cabinet. Le 3 novembre, d'Alembert renvoya au Roi cet Avant-propos avec ses observations (Œuvres posthumes, t. XIV, p. 19); mais ce ne fut que <XIV>vers la fin de l'année 1765 qu'on acheva l'impression de l'Extrait du Dictionnaire historique et critique de Bayle, divisé en deux volumes, avec une Préface. Voici comment Voltaire en parle au Roi dans sa lettre du 1er février 1766 : « Ce rude hiver m'a presque tué; j'étais tout près d'aller trouver Bayle, et de le féliciter d'avoir eu un éditeur qui a encore plus de réputation que lui dans plus d'un genre; il aurait sûrement plaisanté avec moi de ce que Votre Majesté en a usé avec lui comme Jurieu; elle a tronqué l'article David. Je vois bien qu'on a imprimé l'ouvrage sur la seconde édition de Bayle. » Le 25 novembre 1766, Frédéric écrit à Voltaire : « Cet Extrait du Dictionnaire de Bayle dont vous me parlez, est de moi. Je m'y étais occupé dans un temps où j'avais beaucoup d'affaires : l'édition s'en est ressentie. On en prépare à présent une nouvelle, où les articles des courtisanes seront remplacés par ceux d'Ovide et de Lucrèce, et dans laquelle on restituera le bon article de David. » Cet article fut en effet rétabli dans la réimpression de l'ouvrage, qui parut à Berlin, chez Voss, 1767, grand in-8, avec le portrait de Bayle. Le frontispice porte les mots Nouvelle édition augmentée. Nous reproduisons le texte même de l'Avant-propos placé en tête de cette Nouvelle édition augmentée.

Charles Dantal, le dernier lecteur du Roi, rapporte, dans son livre intitulé, Les délassements littéraires, ou Heures de lecture de Frédéric II. Elbing, 1791, p. 35 et 108, qu'il a lu au Roi, en décembre 1785, « l'Extrait du Dictionnaire de Bayle que le Roi avait fait lui-même. » Il faut remarquer que, dès sa jeunesse, avant sa correspondance avec Voltaire, Frédéric était grand admirateur de Bayle, dont il se nomme l'écolier en raison, dans une lettre écrite à Jordan quelques jours après la bataille de Chotusitz.

L'Extrait de Fleury parut sous le titre de : Abrégé de l'Histoire ecclésiastique de Fleury. Traduit de l'anglais. A Berne, 1766. Deux parties in-8, avec le portrait de Claude Fleury. Il fut publié au mois de mai 1766; mais il n'est pas traduit de l'anglais, et parut, non à Berne, mais à Berlin. Dirigé contre les atroces persécutions du clergé catholique de France, il causa un vif plaisir aux amis littéraires du Roi, qui gémissaient du sort funeste des Calas, des Sirven et du chevalier de La Barre. Cet ouvrage fut brûlé à Berne <XV>peu de temps après sa publication; le pape Clément XIV le mit à l'index le 1er mars 1770, et l'Abrégé est encore au nombre des livres prohibés à Rome. Il résulte des lettres que le Roi écrivit alors à Voltaire et à d'Alembert, et de celles que ces deux hommes célèbres échangèrent entre eux, que cet Abrégé fut livré à l'impression par le Roi lui-même, et qu'il y mit un avant-propos. Dantal, dans Les délassements littéraires, dit, à la page 47 : « C'est pour sa propre commodité que le Roi chercha à se procurer par la voie de l'impression une édition portative de la Logique et de la Métaphysique de Bayle, et qu'il avait fait un Extrait du Dictionnaire de Bayle, ainsi que de l'Histoire ecclésiastique de Fleury. » On a prétendu que le corps de l'Abrégé de Fleury était de l'abbé de Prades, lecteur de Frédéric, disgracié et emprisonné à Magdebourg en 1757. Les autorités sur lesquelles se fonde cette opinion sont : Voltaire, dans sa lettre à M. de Villevieille, du 18 juillet 1766; le journal allemand intitulé, Allgemeine Deutsche Bibliothek. Berlin, 1790, t. XCII, p. 206; et l'abbé Denina, dans La Prusse littéraire. A Berlin, 1791, t. III, p. 167. Ce qu'il y a de certain, c'est que le Roi étudia à fond le grand ouvrage de Fleury pendant le siége de Schweidnitz, en 1762; on peut s'en assurer en lisant sa correspondance avec M. de Catt et avec le marquis d'Argens, ainsi que ses Six Épîtres en vers sur l'histoire ecclésiastique.

Les archives du Cabinet ne possèdent le manuscrit original d'aucune des douze pièces ci-dessus mentionnées; nous savons seulement, par les Souvenirs de Thiébault (t. I, p. 100 et 107 de la dernière édition, publiée en 1827 par son fils, le baron Thiébault), que le manuscrit de l'Éloge de Voltaire et la copie du discours De l'utilité des sciences et des arts dans un État, tous deux corrigés de la main de Frédéric, sont conservés à Paris par les descendants de l'auteur. L'autographe des Réflexions sur les talents militaires de Charles XII, roi de Suède, avec les changements et les corrections interlinéaires de la main du Roi, fait partie des collections du Musée britannique de Londres. On nous en a communiqué une copie fidèle, tout à fait conforme à l'édition de 1760, à quelques améliorations près. Dans le manuscrit de Londres se trouve aussi l'erreur que le Roi a commise en écrivant « Varnitza » pour « Worskla, » p. 93 et 95 de notre édition.

<XVI>Il serait sans doute intéressant de posséder les manuscrits originaux de tous les ouvrages que nous venons de citer, ou du moins de pouvoir les examiner. Ce serait toutefois une chose agréable plutôt que nécessaire, puisque, suivant les principes adoptés pour la présente édition, nous nous attachons, pour les écrits publiés par le Roi, au texte des éditions originales dont il avait définitivement approuvé la rédaction.

Nous sommes heureux de pouvoir déclarer, en livrant au public ce volume, le dernier de la série historique, que, dans les divers ouvrages dont elle se compose, il n'a absolument rien été retranché de ce que l'auguste Auteur avait jugé à propos d'écrire.

Berlin, ce 16 août 1847.

J.-D.-E. Preuss,
Historiographe de Brandebourg.