<6>hommes dont l'esprit étendu, l'élévation du génie et l'érudition font l'honneur de leur patrie et de leur siècle. Je ne vous tracerai point les noms des s'Gravesande, des Musschenbroek, des Voltaire, des Fontenelle, des Dubos, des Clarke, des Pope, des de Moivre, et de tant d'autres que j'omets pour l'amour de la brièveté. Ce furent ces hommes célèbres que M. Jordan voulait voir, et qu'il était digne de connaître. C'était ainsi que les Romains voyageaient autrefois en Grèce, et surtout à Athènes, pour se former l'esprit et le goût dans ce pays qui était alors le berceau des arts et l'asile des talents. Il satisfaisait sa curiosité; c'était peu pour lui : il voulut encore contenter ses sentiments; il composa la relation de son voyage,a dans laquelle il rend justice à la beauté du génie et aux talents de ces hommes rares, pour lesquels il conserva une haute estime pendant toute sa vie. Qu'il est difficile à l'amour-propre de rendre au mérite un hommage pur et exempt de toute envie! Les bonnes qualités de nos semblables, et surtout de ceux qui courent avec nous la même carrière, semblent ravaler les nôtres; et qu'il est rare d'unir la modestie et l'impartialité avec beaucoup d'esprit et de connaissances! C'était une vertu particulière en M. Jordan, à laquelle il a été constamment attaché toute sa vie, et sans laquelle il n'eût point laissé ce grand nombre d'amis qui donnèrent à sa perte de véritables regrets.

De retour à Berlin, il rentra dans son cabinet, où l'excitait à l'étude cette noble émulation qui porte les esprits bien faits à se perfectionner davantage. Il lisait tout, et ne perdait rien de ce qu'il avait lu. Sa mémoire était si vaste, qu'elle était comme un répertoire de tous les livres, de toutes les variantes, de toutes les éditions, et des anecdotes les plus curieuses en ce genre.

L'esprit, le mérite, et surtout le bon caractère de M. Jordan, ne lui permirent point de rester enseveli plus longtemps dans son cabinet. Monseigneur le Prince royal, à présent le Roi, l'appela à son service au mois de septembre 1736. Depuis ce temps, il passa sa vie à Rheinsberg, partagé entre l'étude et la société, estimé et aimé universellement, et unissant cette politesse que donne l'usage du beau monde, à la profondeur de ses connais-


a Histoire d'un voyage littéraire fait, en MDCCXXXIII, en France, en Angleterre et en Hollande. A la Haye, 1735.