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1. AU DUC CHARLES DE BRUNSWIC.

Danzig, 26 octobre 1735.



Mon très-cher frère,

Personne ne prend plus de part que moi à l'heureuse délivrance de S. A. R. ma sœur. Je suis charmé, mon cher frère, qu'elle vous ait fait papa de si bonne grâce. Je crains bien que vous n'en resterez pas là, que vous allez peupler le monde, et que l'on va voir naître de votre aimable race. Je n'ai qu'à leur faire un seul souhait, qui est qu'ils ressemblent à père et à mère de corps et d'esprit; ce leur sera toujours un gage sûr de mon amitié et de ma parfaite estime. Au moins pardonnez-moi, mon très-cher frère, si je ne vous ai pas fait mes félicitations plus tôt; mais je ne fais que d'arriver des fonds de la barbarie,2_33-a et, ayant été chargé d'un nombre innombrable de commissions auxquelles je n'entendais pas grand' chose, il m'a été impossible de penser ni d'écrire. Je vous crois à présent seuls et défaits de votre illustre Gast;2_33-b l'on dit qu'il est charmé de la réception que vous lui avez faite. J'ai bien cru qu'il serait satisfait, car comment pourrait-on ne le pas être en votre agréable compagnie? J'ai vu ici tous les travaux des Russiens, et l'on m'a fait l'histoire de l'assaut du Hagelsberg.2_33-c J'ai été sur les lieux, et j'avoue que j'avais meilleure opinion de M. de Münnich pour l'avoir cru capable d'une entreprise aussi déraisonnable, mal conçue et mal <32>exécutée que celle-là. Les troupes ont fait tout ce que de braves gens ont pu faire; mais il n'était pas dans le pouvoir humain de pouvoir prendre un ouvrage de la nature de celui-là l'épée à la main. De là, j'ai vu le fort de la Münde, qui s'est rendu le plus lâchement du monde. Ensuite l'on m'a mené à l'endroit où les trois bataillons français ont si lâchement capitulé,2_34-a action inouïe, et qui fera honte à la nation française jusqu'à nos arrière-neveux. Ensuite je me suis promené sur la mer, et je me suis diverti à voir comme elle ballottait notre navire. Il n'y avait aucun danger, mais cependant les vagues étaient fort émues du vent. L'on nous assure que Seckendorff fait le petit César au Rhin,2_34-b et qu'il veut se donner des airs avec Belle-Isle. J'avoue que je suis curieux de savoir ce qui en sera, et si l'on fera toujours la guerre sans coup férir. J'aimerais bien y être, et moi qui ne suis point chargé du fardeau pesant du bien d'un pays ou d'un État, je pourrais, sans que personne y perdît, m'y trouver, quitte à risquer ma cervelle. Le sort m'en veut cependant; car moi qui brûle d'ardeur pour le métier, je ne saurais parvenir à voir la moindre chose. Mais baste. Il suffit que je sente la peine que cela me fait, sans que j'en aille incommoder les autres. Adieu, mon très-cher frère; mes compliments à l'aimable accouchée. Je vous prie de lui dire que ses coups d'essai sont des coups de maître.2_34-c Je suis avec toute l'estime et tout l'attachement possible,



Mon très-cher frère,

Votre très-parfaitement fidèle ami,
cousin et frère,
Frederic.


2_33-a Voyez t. XVI, p. 145 et 146.

2_33-b Allusion au voyage que le Roi venait de faire à Wolfenbüttel. Voyez, dans la troisième partie de ce volume, la lettre de Frédéric-Guillaume Ier au Prince royal, du 24 octobre 1735, no 102. Ce dernier se sert quelquefois du mot Gast pour désigner son père, par exemple, t. XXV, p. 528.

2_33-c Voyez t. I, p. 189.

2_34-a Voyez t. I, p. 189.

2_34-b L. c., p. 193.

2_34-c Voyez t. XXVII. I, p. 34.