12. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Le 12 mai 1785.



Mon adorable sœur,

Il y a soixante-dix ans passés que je suis au monde, et dans tout ce temps je n'ai vu que des jeux bizarres de la fortune, qui mêle quantité d'événements fâcheux à quelques favorables qui nous arrivent. Nous ballottons sans cesse entre beaucoup de chagrins et quelques moments de satisfaction. Voilà, ma bonne sœur, le sort commun de tous les hommes. Les jeunes gens doivent être plus sensibles à la perte de leurs proches et de leurs amis que les vieillards. Les premiers se ressentent longtemps de ces privations, au lieu que les personnes de notre âge les suivent dans peu. Les morts ont l'avantage d'être à l'abri de tous les coups de la fortune, et nous qui restons en vie, nous y sommes sans cesse exposés. Toutes ces réflexions, ma bonne sœur, ne sont guère consolantes, je l'avoue. Heureusement que votre sagesse et votre esprit vous ont donné la force de résister à la douleur qu'éprouve <352>une tendre mère en perdant un de ses enfants chéris.1_395-a Veuille le ciel continuer de vous assister, en conservant une sœur qui fait le bonheur de ma vie! Daignez, ma bonne sœur, me croire avec le plus tendre attachement et la plus haute considération, mon adorable sœur, etc.


1_395-a Le prince Léopold de Brunswic, né le 10 octobre 1752, périt à Francfort-sur-l'Oder, le 27 avril 1780, lors de la grande inondation, en voulant sauver des hommes en danger.