<141>tère, qui est incapable de changement et de légèreté. Vous m'avez été plus cher que la vie, et plus je vous ai chéri et aimé, plus votre refroidissement m'a été sensible. Pardonnez si je vous parle à cœur ouvert; je n'ai plus retrouvé en vous depuis quelques années ce frère si adoré et si tendre pour moi. J'ai cru son amitié entièrement éteinte; j'en ai gémi, j'ai fait inutilement tous mes efforts pour tâcher de regagner son cœur. Mon chagrin m'a peut-être fait commettre des fautes; mais je me suis toujours aperçue, dans mon plus grand dépit, qu'au fond j'étais la même, que je prenais part avec chaleur à tout ce qui vous regardait, et surtout à cette gloire immortelle que vous vous êtes acquise. Je vous excuse, mon très-cher frère, en bien des choses; je suis informée de tous les bruits qui courent sur mon compte et sur celui de notre cour. On me fait beaucoup d'honneur en me traitant comme un enfant qui se laisse gouverner par un chacun, et auquel on fait accroire ce que l'on veut. Il y a longtemps que j'ai pris mon parti sur toutes les calomnies qui se débitent sur mon sujet. Il y a quelques années que Superville dirigeait tout ici, ensuite du Châtelet,a à présent la Burghauss; et si elle venait à me quitter un jour, ce serait quelque autre. Il faudrait m'exclure du commerce du monde, si je voulais mettre fin à de pareils raisonnements. Comme plusieurs personnes ont été assez de mes amies pour m'avertir de ce qu'on débite des gens qui me sont attachés, il faudrait que j'eusse été et que je fusse encore la plus simple des créatures pour n'avoir pas approfondi la vérité et pour me laisser duper après tant d'avis. Je sais qu'on m'accuse de faiblesse, d'une hauteur insupportable, d'une humeur intrigante, d'un penchant insatiable pour les plaisirs. Ces bruits couraient déjà à Berlin dans le temps que j'y étais, et je ne m'étonne point qu'un si beau portrait vous ait donné de l'éloignement pour moi. Ceux qui me connaissent peuvent juger s'il y a le moindre trait qui me ressemble dans cette belle peinture. Au reste, je veux vous faire un détail de ma façon de vivre et de penser. Je suis dans un âge, à présent, dans lequel on ne se soucie plus guère des plaisirs bruyants; ma santé, qui s'affaiblit journellement, ne me permet pas même d'en jouir beaucoup; je préfère une société de


a Mémoires, t. II, p. 313.