327. DU PRINCE HENRI.

Camp de Niemes, 15 août 1778.



Mon très-cher frère,

Je souhaite de tout mon cœur, mon très-cher frère, que la nouvelle que vous daignez me donner par votre lettre du 12 se confirme; mais, pour parler franchement, j'en doute. Les deux armées ennemies ont une position trop avantageuse, et je ne vois pas ce qui pourrait les obliger à la quitter. Elles sont à proximité de s'entre-secourir. L'Iser a des bords escarpés, l'Elbe est fortifiée, et Loudon travaille, à ce qu'on me dit, à faire des ouvrages de défense. Si je pouvais leur donner des jalousies sur <441>quelque objet; mais je n'en vois pas le moyen. Je voudrais de grand cœur attaquer Loudon, pour finir cela d'une manière ou d'autre; mais 1o ils ont rompu tous les ponts sur l'Iser; 2o la proximité des deux armées, qui ferait qu'on ne pourrait pas même profiter d'une victoire; 3o leur position avantageuse, et tous les obstacles des défilés avant de parvenir à eux; 4o au cas qu'un malheur m'arrivât, la difficulté de la retraite et le peu de probabilités de sauver l'armée dans cette circonstance. J'ai pris une position qui couvre mes convois; tant que l'ennemi agit avec force, rien ne peut pénétrer sur nos derrières, mais elle a l'inconvénient d'être très-étendue, et je ne puis me resserrer sans abandonner ma gauche, ce qui me perdrait entièrement; et si j'abandonne la droite, je cours risque pour le corps de Platen. Si je voulais me rapprocher de l'Elbe, d'abord il me faut douze jours pour faire parvenir ma boulangerie sur Leitmeritz. Si alors je reste de ce côté, Loudon envoie vers Reichenberg, et peut pousser ce détachement aussi loin qu'il veut. Si je passe l'Elbe, il restera de ce côté-ci. Sans doute que j'enverrais un corps en arrière pour couvrir la Lusace. Mais Loudon peut toujours mesurer la force de son détachement. Il n'a rien à appréhender pour Prague, car, si je voulais y marcher, je lui prêterais le flanc. D'ailleurs, dès que je passe l'Elbe, ses troupes légères infestent ses bords,502-a et mes transports sur l'Elbe n'ont plus lieu. D'ailleurs, l'Elbe est basse; il faut beaucoup de temps pour faire descendre les farines. Ils avaient même enfoncé les bateaux, mais je les ai déjà fait retirer. Vous me dites, mon très-cher frère, que voilà bien des difficultés; je vais vous répliquer que j'ai tort de les faire, si elles ne sont pas fondées sur l'état des choses, et que je les représente d'après mes lumières.

J'ai l'honneur de vous envoyer, mon très-cher frère, le dessin de la tête de pont de Leitmeritz. Il aurait fallu en faire une espèce de siége pour la prendre. Je suis, etc.


502-a Au lieu de ses bords, qu'on lit dans la minute autographe du prince, le texte déchiffré porte les rives. Il n'est pas rare de trouver de ces différences entre les minutes et les lettres déchiffrées.