267. AU MÊME.

Graudenz, 7 juin 1776.



Mon très-cher frère,

Me voici rapproché de vous, mon très-cher frère, de cinquante milles d'Allemagne, et cependant il reste encore un espace immense qui nous sépare. Je viens de recevoir votre chère lettre, et je plains bien la situation du pauvre comte Panin; il est vrai <383>qu'à son âge la perte qu'il fera ne sera pas considérable, si ce n'est la douleur et le danger qu'il va courir dans cette opération.

J'ai eu le plaisir de dîner chez vous, à Spandow; mais, mon cher frère, qu'il y a de différence de vous y voir ou de songer au terrible éloignement où vous êtes de chez nous! Cela m'afflige. Mon frère Ferdinand et moi, nous avons bu bien cordialement à votre santé. Je vous fais bien des excuses de ne vous avoir pas accusé la recette de la lettre de change; elle est bien arrivée, mais je l'ai gardée jusqu'à la réponse de notre nièce; à présent qu'elle a consenti à tout, la lettre de change lui sera rendue. Le nombre des matières importantes fait quelquefois qu'on néglige celles qui le sont le moins; cela ne devrait pas être, mais les hommes restent des hommes, quelque attention qu'ils aient. Je ne saurais vous dire, mon cher frère, combien j'ai d'embarras d'arranger tout ce qu'il faut pour la réception du grand-duc sans que rien en transpire. Jusqu'à présent vous pouvez compter que personne ne s'en doute. Il faudra pourtant faire partir cuisine, domestiques, et ceux qui doivent recevoir le grand-duc, vers le 15 du mois prochain; alors il n'y aura plus moyen de déguiser ce que l'on a en vue. Notre nièce et le prince Eugène, qui absolument a voulu être du voyage, arriveront le 20 juillet à Potsdam. Il est nécessaire que je leur parle avant l'arrivée du grand-duc, pour qu'ils prennent le ton convenable à la scène qui va se passer. Ne vous moquez point de moi, mon cher frère, mais il faut que je vous avoue mon faible : j'ai une crainte, je ne sais pourquoi, qu'il ne prenne quelque maladie ou qu'il n'arrive quelque malheur au grand-duc. Je vous prie de faire que son médecin l'accompagne, et qu'il aille le moins à cheval que possible. Je ne serai tranquille que lorsqu'il sera de retour en bonne santé à Pétersbourg. Vous direz que cela sent bien le vieillard; cela peut être, mais mettez-vous dans ma place, et jugez, je vous prie, quelle chose fâcheuse ce serait pour nous tous ensemble, si telle chose arrivait. Je suis à présent occupé ici à terminer nos affaires des limites avec les Polonais, et pour accélérer cette négociation, j'envoie trois projets de cession à Benoît,437-a dont les Polaques <384>pourront choisir ce qui leur conviendra. Depuis mon départ de Magdebourg, nous avons eu une suite de beaux jours; aujourd'hui il fait une forte pluie; demain le camp se formera, et je pars le 11 pour mes pénates. Mais j'ai des affaires par-dessus les oreilles. C'est avec les plus tendres sentiments et la plus parfaite considération que je suis, etc.


437-a Ministre résident de Prusse à Varsovie depuis 1751 jusqu'au mois de novembre 1776.