23. AU COMTE DE ROTTEMBOURG.

Potsdam, 13 mai 1744.

Je viens de recevoir vos dépêches en date du 4 de ce mois. De la manière que vous vous expliquez sur la conduite que vous avez tenue vers la cour de Versailles, je suis très-satisfait de vous et des manières que vous avez prises pour parvenir à mes fins. Je suis surtout très content de la route que vous vous êtes frayée pour parvenir promptement au but désiré, et des liaisons que vous avez faites avec ce qu'il y a de meilleures têtes en France. Enfin, pour vous rendre justice, il faut que j'avoue que vous avez surpassé mes attentes, et je ne doute à présent nullement que, après que vous avez si bien commencé, vous ne manquerez point de mener à une fin heureuse les affaires importantes dont je vous ai chargé. Je mets toute ma confiance en la personne du roi de France, dans l'espérance que nous traiterons cette fois-ci de roi à roi,594-a et <539>que rien ne pourra nous désunir, me remettant au reste sur la foi de sa promesse que le traité que nous sommes sur le point de conclure594-b restera un secret impénétrable pour tout le monde. Je regarde le changement qui est arrivé avec le sieur Amelot comme un coup de partie, et vous sais bon gré de tout ce que vous y avez contribué. Vous pouvez être assuré de ma discrétion sur tout ce que vous me mandez d'avoir fait avec le roi de France; et d'ailleurs je viens d'ordonner à Klinggräff594-c d'accabler de politesses le sieur de Chavigni, afin de le faire, comme vous dites, tout plein d'amitié de ma part et de le mettre dans mes intérêts; aussi est-il vrai que le roi de France met ses affaires dans de dignes mains, s'il emploie Chavigni à la place d'Amelot.

Quant au projet du traité, j'en ai été assez content, et il n'y a que peu de choses que je souhaite d'y être insérées encore, comme vous le verrez par le contre-projet chiffré que vous trouverez ci-clos. Vous tâcherez de votre mieux avec le sieur de Chambrier, afin qu'on admette tout ce que je viens ou de changer, ou de joindre à ce traité; et lorsque vous serez convenu de tout, mon intention est que vous devez le faire mettre au net et, les échanges des pleins pouvoirs faits, le signer avec le sieur de Chambrier, à quelle fin je vous envoie ci-clos les pleins pouvoirs nécessaires. D'abord que vous l'aurez signé, vous pouvez retourner vers ici, et m'apporter un des exemplaires signés, pour que j'en puisse faire expédier alors les ratifications usitées, ce que je ferai faire incontinent après que j'aurai de bonnes nouvelles de mon traité à faire avec la Russie et la Suède. Je renverrai alors le traité ratifié au sieur de Chambrier, pour qu'il le puisse échanger; mais il faudra de toute nécessité que vous vous concertiez bien avec le sieur de Chambrier, par quelle voie je puisse lui envoyer sûrement le traité pour qu'il ne soit point intercepté en chemin faisant : car je crains fort que la route par Wésel à Paris ne sera plus sûre, d'abord que les opérations de guerre auront commencé en Flandre. Je crains la même chose pour Francfort, et je ne sais pas s il y aura une autre roule plus sûre que celle <540>de Mannheim pour faire passer notre traité en France : ainsi vous n'oublierez point de vous régler bien sur cet article avec le sieur de Chambrier.

Quant au mémoire que vous m'avez emoyé, signé du maréchal de Noailles, j'avoue qu'on n'a jamais mieux rencontré ma façon de penser sur toutes les matières qu'on y a traitées qu'on l'a fait dans ce mémoire, ainsi que je ne saurais pas m'exprimer autrement qu'on y a fait, si je l'avais dicté moi-même. Aussi ai-je donné d'abord mes ordres au sieur de Klinggraff pour la conclusion des deux traités à faire avec l'Empereur, savoir, pour le traité d'union, avec son article séparé, et pour le traité secret. Quant au troisième traité à faire avec le roi de France, j'espère que, par le projet que je vous renvoie, j'aurai rempli tout ce qu'on peut désirer de moi à ce sujet. Je suis surtout très-satisfait de ce qu'on a fait le projet de ce traité sur le pied d'un traité d'amitié et d'alliance perpétuelle et irrévocable, offensif pour le moment présent, et défensif pour la suite, articles que j'aurais désirés tout exprès, si l'on ne m'avait pas prévenu là-dessus. Comme il y a pourtant d'autres réflexions qui me sont tombées dans l'esprit sur les conjonctures présentes, j'en ai dressé le mémoire ci-clos, et vous ne manquerez pas d'en faire un bon usage.

Pour ce qui est de l'autre mémoire que vous m'avez envoyé, touchant les opérations militaires, je le trouve bien pensé; mais pour mettre le roi de France bien au fait sur la manière que je médite de faire mes opérations, j'en joins ici le projet, duquel vous ne manquerez pas de faire l'usage convenable, afin que. en combinant ce plan avec l'autre que vous m'avez envoyé, on puisse convenir exactement sur ce que les parties alliées belligérantes auront précisément à faire, concert qui est d'autant plus nécessaire, que suis cela nous ne ferions rien qui vaille. Un des articles que je vous recommande le plus est qu'on tâche d'éloigner autant qu'il est possible les troupes autrichiennes de la Bohème, et qu'on les empêche, s'il est possible, de pouvoir se porter à Prague avant que j'aie pris celte ville, puisque autrement tout mon plan courrait risque d'échouer; mais d'abord que je serai maître de Prague, les Autrichiens n'auront qu'à venir.

L'article de gagner le roi de Sardaigne et de l'attirer dans <541>notre parti serait un grand coup, peut-être plus aisément à faire qu'on le croit, si la France pouvait disposer la reine d'Espagne de ne traiter plus si rudement le roi de Sardaigne quelle l'a fait par le temps passé, et de lui faire encore quelques cessions, outre celles qu'il a eues par le traité de Worms.596-a

Quand je parle, dans mon projet du traité à faire avec la France, des enclavures de la Moravie, il faut que je vous dise, pour votre instruction, que ce n'est proprement que le petit district de Hotzenplotz avec ses appartenances, qui est dans la Haute-Silésie, mais qui relève proprement de la Moravie, et que les Autrichiens se sont stipulé exprès par le traité de Breslau.596-b

Au reste, vous ne manquerez de vous concerter sur tout ce que dessus avec le sieur de Chambrier. Et sur ce. etc.596-c


594-a Voyez t. XXIV, p. 89.

594-b Ce traité fut conclu à Versailles, le 5 juin 1744. Voyez t. III, p. 44 et 45, et t. IV, p. 35.

594-c Envoyé de Prusse auprès de l'empereur Charles VII, à Munich.

596-a Voyez t. III, p.35.

596-b Voyez t. II, p. 145.

596-c De la main d'un secrétaire.