31. DU COMTE DE MANTEUFFEL.

Berlin, 26 août 1736.



Monseigneur,

Étant hier au soir sur le point de signer mon autre lettre, j'eus l'honneur de recevoir celle que V. A. R. a daigné m'écrire le 23 du courant. Elle me fait une grâce singulière en m'assurant que les miennes ne l'importunent jamais. Je me le tiendrai pour dit, et V. A. R. se verra accablée de tant de mes missives, qu'elle m'ordonnera peut-être de les réduire à quelque nombre plus petit.

Je ferai restitution de la lettre de Voltaire au sieur Jordan, qui n'attend que vos ordres, monseigneur, pour aller occuper son appartement et son armoire. Mais V. A. R. trouverait-elle cette lettre de Voltaire aussi bien écrite qu'elle s'est attendue de la trouver? Pour moi, je crois généralement sa prose infiniment au-dessous de sa poésie, et je mettrais bien la main au feu que V. A. R. en pense tout comme moi, d'autant plus qu'il est à présumer que l'auteur, dans l'occasion présente, aura travaillé sa lettre avec quelque application, puisqu'il pouvait prévoir sans peine qu'elle parviendrait aux yeux de V. A. R.

<487>L'aide de camp du duc de Weissenfels est un officier d'une assez jolie apparence, fort poli et sage; mais comme il entre dans sa composition beaucoup plus de matière que d'esprit, je viens de le détourner, suivant l'ordre de V. A. R., du dessein de porter lui-même ses dépêches à Rheinsberg, et je compte de les joindre ici. J'ai cependant été extrêmement tenté de faire le contraire, et voici pourquoi. Cet officier ayant été extrêmement gracieusé pendant deux jours à Potsdam, j'eusse fort souhaité qu'il eût pu l'être aussi de V. A. R., afin que, à son retour en Saxe, il eût pu se louer, monseigneur, de votre affabilité et de vos manières gracieuses envers les étrangers, manières qui sont elles seules capables d'acquérir de la réputation à un grand seigneur. Mais enfin j'ai mieux aimé vous obéir que de vous donner occasion de vous gêner, V. A. R. ne se gênant déjà que trop en d'autres occasions.

Il est certain qu'un peu de beau sexe fait un effet excellent à la campagne. Comme on n'y est pas distrait par tant d'objets différents, il semble que ceux qui s'y trouvent avec nous nous plaisent beaucoup plus qu'en ville. Je suis très-persuadé que V. A. R. saura conduire tout cela à merveille, et qu'elle fera en sorte que son beau sexe sera charmé de se trouver avec elle à Rheinsberg, et qu'elle-même sera charmée de l'y avoir. Mais qu'elle me permette de répéter en cet endroit ce que je pris un jour la liberté de lui dire ici : rien au monde n'accommoderait mieux les intérêts présents de V. A. R. que quelque héritier de sa façon.538-a Les sentiments de tous vos bons serviteurs sont unanimes là-dessus. Peut-être la tranquille commodité avec laquelle V. A. R. pourra y travailler à Rheinsberg sera-t-elle de meilleur effet que toutes ces visites passagères et hâtives qu'elle venait rendre ci-devant à Berlin. Je le souhaite au moins du meilleur de mon cœur.

Quoique je ne connaisse pas Gresset, je suis persuadé que sa présence contribuerait beaucoup à rendre la vie de Rheinsberg encore plus agréable qu'elle ne l'est. Mais, pour m'en expliquer en bon serviteur de V. A. R. et en fidèle Quinze-Vingt, je crois qu'il faut absolument renoncer au dessein de le faire venir. Le <488>plaisir que sa présence vous ferait, monseigneur, ne vaudrait certainement pas les déboires qui en pourraient être la suite. Elle connaît la triple Hécate qu'elle a si bien dépeinte dans ses vers. C'est une divinité qui n'entend pas raillerie en pareilles occasions, et aux volontés de laquelle V. A. R. ne saurait se dispenser de se conformer.

Quant au Quinze-Vingt, il a assez de vanité pour s'imaginer qu'il ne gâterait rien à Rheinsberg; mais il comprend de reste qu'il n'est pas né sous une étoile assez heureuse pour oser se flatter d'y pouvoir aller sitôt exercer sa fonction, quoiqu'il ne croie pas la chose impossible avec le temps.

L'officier du duc de Weissenfels m'envoie les deux lettres de notification, et je les joins ici. Je vois au travers du papier qu'elles sont en allemand, et je juge par là que Vos Altesses Royales trouveront apparemment nécessaire de les envoyer, après les avoir ouvertes, au général Borcke, afin qu'il fasse dresser les réponses selon l'étiquette de la chancellerie. J'ose d'ailleurs avertir V. A. R. que le duc de Weissenfels a personnellement une très-profonde et sincère vénération pour elle, et que je souhaiterais fort qu'on glissât quelque chose d'obligeant pour lui dans votre réponse, d'autant plus que je lui ai conseillé confidemment de recourir à la protection de cette cour-ci, en cas que celle de Dresde lui donne occasion de se plaindre.

Je vous demande pardon, monseigneur, de ce que je m'ingère ainsi en tout ce qui concerne V. A. R. Je ne le ferais certainement pas, si j'étais avec une dévotion moins parfaite que je ne suis, etc.


538-a Voyez le Journal secret du baron de Seckendorff, p. 147 et 148.