<468>

22. DU MÊME.

Berlin, 20 mai 1736.



Monseigneur,

Votre Altesse Royale ne s'attend pas apparemment à voir de mon griffonnage dans la conjoncture présente; mais ce qui doit rendre excusable la liberté que je me donne de lui écrire, c'est l'empressement que j'ai de lui faire part d'une nouvelle qui la surprendra peutêtre, si elle ne lui est déjà connue, et parce qu'on m'a instamment prié d'en informer V. A. R. Voici de quoi il s'agit.

Le baron de Pöllnitz me vint voir, il y a quelques jours, me faisant un détail certainement touchant de son sort malheureux, et surtout d'un cas de conscience qu'il disait avoir sur le cœur.

« J'ai fait, dit-il, parmi plusieurs folies, celle d'embrasser sans beaucoup de réflexion la religion catholique.516-a Vous comprenez bien que la conscience n'y a pas eu grand' part; car où est l'homme de bon sens qui puisse ajouter foi aux dogmes ridicules que cette religion enseigne? Mais enfin j'ai fait cette sottise (les larmes lui montèrent aux yeux en me faisant cette confession), et je me crois obligé de la réparer; je veux retourner à la foi dans laquelle j'ai été élevé. Dites-moi en ami si je fais bien ou mal. »

Je ne dirai pas ici quel cas je fais d'ailleurs de tous ces changeurs de religion; mais ayant remarqué, par le discours étudié que le nouveau prosélyte me tint, que son parti était pris, et qu'il me parlait plutôt pour s'attirer mon approbation que pour se régler sur mes conseils, V. A. R. comprend bien que je ne manquai pas d'applaudir à sa sainte résolution. Nous agitâmes ensuite la manière de déclarer sa conversion. Mon avis fut qu'il ne fallait pas la déclarer tout à coup, ni se presser d'en informer le Roi, parce que cela le ferait soupçonner d'agir plutôt par des vues intéressées que par un mouvement de conscience. Il me quitta même en m'assurant qu'il suivrait mon conseil; mais son <469>inquiétude naturelle ne le lui ayant pas permis, il en a parlé hier matin au Roi.

Il me vint dire, un moment après, qu'il l'avait fait par maintes et maintes raisons qui seraient trop longues à dire : que le Roi en avait été charmé, et qu'il ne s'agissait plus que de confier le même secret (car il prétend absolument que c'en soit un) à V. A. R., et de le lui confier de manière qu'elle ne le soupçonnât pas de faire la girouette, et d'avoir repris son ancienne religion avec la même légèreté qu'il l'avait quittée, etc., etc. Conclusion, je fus chargé d'être le porteur de cette confidence, et de tâcher de pénétrer ce que V. A. R. en penserait.

Voilà ma commission. C'est à cette heure à V. A. R. à m'ordonner, comme à son affidé Quinze-Vingt, ce qu'elle souhaite que je dise de sa part au prosélyte, à moins qu'elle n'aime mieux s'en expliquer elle-même avec lui. Le rapport naïf que je viens de lui faire de toute cette aventure lui fera apparemment comprendre ce que j'en pense dans le fond de mon cœur, et que je devine à peu près ce qu'elle en peut penser elle-même dans le fond du sien; car, s'il m'est permis de le dire, je la crois là-dessus du sentiment du grand Frédéric-Guillaume, qui ne jugeait jamais du mérite et de la probité des gens par rapport à la religion qu'ils professaient, et qui ne se souciait guère qu'on embrassât la sienne ou une autre, pourvu qu'on fût chrétien et homme de bien. Quoi qu'il en soit, j'ai prédit au prosélyte quelle réponse je croyais que V. A. R. lui ferait, soit à lui-même, soit par mon canal, et je lui ai dit qu'elle répondrait apparemment qu'il forait fort bien de changer, supposé qu'il fût véritablement persuadé qu'il ne saurait se sauver autrement, c'est-à-dire, supposé qu'il en usât ainsi par un véritable mouvement de conscience; mais que, à cela près, cette démarche lui serait tout à fait indifférente. Ai-je bien ou mal pronostiqué? C'est à V. A. R. à me diriger là-dessus. Je chanterai aveuglément sur tel ton qu'il lui plaira me donner, ne visant absolument à rien qu'à vous prouver, monseigneur, à quelque occasion que ce soit, que je suis de cœur et d'âme, et avec une dévotion plus que parfaite, etc.


516-a Voyez t. XX, p. 94.