<430>même temps. Mais qu'elle me permette de lui faire à cette occasion une question qui n'est peut-être pas tout à fait hors d'œuvre. Croit-elle que ces deux grands hommes aient fait ce qu'ils firent alors par des motifs de religion, ou, comme parle Rollin, de morale chrétienne? Mylord Marlborough, que j'ai connu personnellement, ne m'a jamais paru un chrétien fort scrupuleux; et quant au prince Eugène, que V. A. R. connaît elle-même, je doute qu'il ait jamais fait assez de cas de la religion pour en faire la boussole de ses actions et de ses sentiments.

Quant à moi, je suis très-persuadé, et je ne crois pas que ce soit diminuer leur mérite, que la religion n'avait pas plus de part à leur conduite d'alors, ni à celle que tint Catinat, qu'elle n'en eut jadis à celle de Fabius, celui qu'on appelait à Rome le bouclier de la république et le pédagogue d'Annibal, et qui sauva sa patrie par une lenteur sage et préméditée. La vie de cet illustre Romain est un tissu de vertus héroïques. V. A. R. ayant sans doute lu Plutarque, et ayant la mémoire aussi excellente qu'elle l'a, elle ne saurait manquer de se souvenir qu'il se trouva un jour dans un cas tout semblable à celui qu'elle raconte de Catinat. La différence qu'il y a, c'est que Catinat dépendait, comme je l'ai déjà remarqué, des ordres d'un maître absolu, au lieu que Fabius, lors du cas en question, était lui-même dictateur, c'est-à-dire, souverain de sa république, et que la sagesse, la modération, la grandeur d'âme de ce Romain, se manifestèrent avec beaucoup plus de solidité et d'éclat que toutes les grandes qualités que V. A. R. attribue, comme de raison, au capitaine français. Qu'elle me permette de soulager sa mémoire, en rapportant quelques particularités de ce trait d'histoire.

Plusieurs victoires remportées par Annibal ayant fait comprendre à Fabius qu'il serait trop dangereux d'exposer le salut de Rome au hasard de nouvelles batailles, il prit le parti de les éviter, d'émousser le courage du Carthaginois par une lenteur étudiée, et de le fatiguer par des chicanes. Cette manière de faire la guerre, inconnue jusqu'alors aux Romains, ne fut pas de leur goût. Minutius, général de cavalerie et lieutenant de Fabius, se donna surtout beaucoup de mouvement pour la décrier, et pour décrier son commandant lui-même comme un homme lâche et