<336>États et l'Europe à gouverner, tandis que les petites gens sont toujours écrasés par leurs occupations. Je suis donc forcé de convenir de la chose du monde la plus ridicule et la plus malheureuse : c'est que j'ai été écrasé par mes petites et insignifiantes affaires, et réduit à la douloureuse extrémité de négliger jusqu'à ma grande impératrice, et son auguste allié et lieutenant-colonel. Rien n'est plus exact, Sire, que cette qualité que vous jugez à propos de prendre. Si elle met V. M. un grade au-dessous de moi, il est cependant bien sûr que le grand Frédéric et la grande Catherine se sont servi réciproquement de lieutenants-colonels, et qu'ils s'en sont assez bien trouvés l'un et l'autre pour continuer leur service sur ce pied-là jusqu'à la fin des siècles. Quant à moi, Sire, grâce à mes petites et interminables affaires, j'ai pensé être hors de combat. Je n'ai été malade l'automne dernier que huit ou dix jours; mais ces dix jours de soumission aux ordres d'Esculape Tronchin m'ont mis à bas pour tout l'hiver, et ce n'est que depuis quelques semaines que je puis me regarder comme rétabli et échappé aux griffes de la médecine. Voilà le véritable motif de la longue pause que j'ai observée. Elle ne m'a pas empêché de suivre V. M. pas à pas, à l'aide des gazettes, de me glisser à sa suite dans l'Opéra de Berlin, de me trouver le jour de l'an à la porte du cabinet de V. M., pour voir la sortie du monarque dont l'apparition est aussi rayonnante de gloire que celle du soleil l'est de lumière, de célébrer surtout le 24 janvier avec la joie que la santé brillante de V. M. inspire et justifie. Mais pour oser prendre la plume, j'ai voulu attendre que le retour du sommeil ramenât le calme dans un sang trop agité.

V. M., en rendant justice à mon beau don de prophétie, se borne à la science du passé, et ne veut pas se donner les airs de deviner l'avenir. Vous vous contentez, Sire, de le préparer, et laissez aux goujats le don de divination. Vous avez pris de Jupiter, votre aïeul, la prévoyance; mais vous ne vous souciez pas de la prescience, qui est une vertu purement théologale. Ainsi V. M. ne se souciera pas de nous dire si nous aurons la paix cette année, si les Bataves figureront dans la neutralité armée, si nous aurons une trinité de médiateurs, sans laquelle, suivant mon catéchisme, il n'y a point de salut à espérer. Ce grand exemple de