<230>trop sûr de son fait dans tout ce qu'il avance, et soutiendrait presque à chaque souverain et à chaque État de l'Europe qu'il sait mieux que lui-même ses forces et ses revenus. Mais d'ailleurs son ouvrage est utile, et lui a valu chez les étrangers, et dans sa patrie même, une célébrité qui le dédommage de la persécution excitée contre lui par les fanatiques. On me mande qu'il est enchanté de V. M., et je n'ai pas de peine à le croire. Je sais par expérience qu'elle renvoie avec cette disposition tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher.

Nous avons eu ici pendant un mois M. le comte et madame la comtesse du Nord.b Ils sont partis il y a deux jours pour Brest, et paraissent fort contents de leur séjour à Paris et de l'accueil que tous les états se sont empressés de leur faire. Ils ont, de leur côté, très-bien réussi par la politesse dont ils ont été pour tout le monde. M. le comte du Nord m'a fait l'honneur de venir chez moi, avant même que j'eusse pris la liberté de me présenter chez lui. Il m'a dit les choses les plus honnêtes sur le désir qu'on avait eu de me posséder à Pétersbourg,c ce sont les termes dont il s'est servi, et sur les regrets qu'il avait eus en particulier de ne m'y point voir.a Je suis très-touché de ses regrets, mais je ne me repens point du tout, et peutêtre moins que jamais, de n'avoir pas accepté ce qu'on m'offrait, et je n'oublierai de ma vie la conversation, très-intéressante pour moi, que j'eus à ce sujet avec V. M., à Clèves, en 1763.

Recevez, Sire, avec votre bonté ordinaire l'hommage le plus sincère de la tendre vénération avec laquelle je serai toute ma vie, etc.

P. S. J'ignore si V. M. a reçu l'ouvrage que j'ai eu l'honneur de lui envoyer de la part du collége Louis le Grand et de l'uni-


b Le grand-duc de Russie et la grande-duchesse sa femme.

c D'Alembert dit dans son Mémoire sur lui-même : « A la fin de 1762, l'impératrice de Russie, Catherine II, lui proposa de se charger de l'éducation du grand-duc de Russie son fils, et lui fit offrir pour cet objet jusqu'à cent mille livres de rente par le ministre qu'elle avait alors à Paris, M. de Soltykoff. M. d'Alembert refusa de s'en charger. » Voyez Œuvres posthumes de d'Alembert. Paris, 1799, t. I, p. 4 et 5. Voyez aussi nos t. XIX, p. 428, et XXIV, p. 438.

a Voyez t. XXIV, p. XII.