<105>ration. Il nous enchanta tous par sa politesse, par les grâces de son esprit, par tout ce qu'il nous dit d'obligeant et d'honnête. Il alla de là à la comédie, suivi d'une multitude innombrable. L'accueil qu'il reçut au moment où il parut dans la salle, et pendant toute la représentation (on jouait sa tragédie d'Irène), est une chose sans exemple. Il faut, Sire, l'avoir vu pour le croire; l'enthousiasme et l'ivresse étaient au dernier degré. Les comédiens vinrent dans la loge où il était lui mettre une couronne de laurier sur la tête, aux acclamations de toute la salle, qui criait bravo, en battant des pieds et des mains. Entre les deux pièces, ils placèrent sur le théâtre le buste de M. de Voltaire, qu'ils avaient couronné de même, et ce fut alors que les transports redoublèrent. C'est cette apothéose, Sire, qui a surtout irrité les fanatiques. Un ex-jésuite, qui prêchait le carême à Versailles, eut l'impudence de crier là-dessus au scandale en présence de toute la cour; mais toute la cour se moqua de lui, à l'exception de quelques hypocrites et de quelques imbéciles qui ne sont pas plus rares dans ce pays-là qu'ils ne le sont ailleurs. Mais par malheur cette apothéose a irrité des gens plus à craindre que les fanatiques, et qui ont senti que leurs places, leur crédit, leur pouvoir, ne leur vaudraient jamais de la part de la nation un hommage aussi flatteur, qui n'était rendu qu'au génie et à la personne. Je ne connais, Sire, et tout Paris le disait en ce moment, je ne connais au monde qu'un seul homme qui, arrivant en ce moment à Paris, eût partagé avec M. de Voltaire l'enthousiasme et l'admiration publique, et cet homme, Sire, je le laisse à deviner à V. M.

M. de Voltaire, qui continuait à jouir tous les jours, et au spectacle, et à l'Académie, et dans les rues même, de l'hommage de ses concitoyens, tomba enfin très-sérieusement malade à la fin d'avril, pour avoir pris dans un moment de travail plusieurs tasses de café qui augmentèrent la strangurie, ou difficulté d'uriner, à laquelle il était sujet; pour diminuer ses douleurs, il prit des calmants; mais il doubla et tripla tellement la dose, que l'opium lui monta à la tète, qui depuis ce moment n'a été libre que par petits intervalles. Je le voyais pourtant en cet état; il me reconnaissait toujours, et me disait même quelques mots