93. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 26 janvier 1768.



Sire,

Votre Majesté range ses arguments comme ses bataillons; il est difficile de leur résister, et, quelques objections qu'on pourrait faire contre l'application des premiers, je me rends à la conclusion qui m'assure de l'estime de V. M., c'est-à-dire de la chose du monde que j'ambitionne le plus. Mais parmi toutes les qualités que votre bonté me prête, vous oubliez, Sire, la seule que je suis sûre de posséder à un éminent degré : c'est l'admiration que j'ai pour les héros, non pas de l'espèce des Alexandre, qui, après avoir parcouru, le fer à la main, une partie de la terre habitable, pleuraient de ce qu'on ne pouvait tout conquérir; le <148>héros que j'aime est l'homme de tous les temps, de tous les lieux, grand dans ses victoires, plus grand peut-être dans ses revers, ne redoutant pas plus le chaos des affaires que les dangers de la guerre, jugeant avec la même justesse d'un système politique, d'un plan de finances, que de l'ordre d'une bataille, joignant enfin au discernement du bon le goût du beau. Si V. M. me trouve un peu difficile, songez, Sire, que notre siècle m'en a fourni l'idée, et que personne n'est moins en droit que vous de m'accuser que je me forge un être de raison. Il l'est si peu, que, si jamais je vais à Pretzsch, je verrai ce héros, je l'entretiendrai, et nous parlerons politique, finances, arts, littérature; car les génies lumineux comme V. M. répandent leurs lumières sur ce qui les approche. La chose que je vous dirai plus rarement que je ne la sentirai, c'est que rien ne peut altérer l'admiration et la haute estime avec laquelle je serai à jamais, etc.