<599>de grands hommes et d'académiciens assez ridicules. Ce mélange piquait et excitait la curiosité du lecteur, au lieu que vous n'aurez ni grandes découvertes à relever, ni grands talents à louer, et que, ne vous occupant que de la vie de gens très-médiocres, personne ne s'empressera à savoir ce que vous en direz. C'est le défaut de la matière, et ce ne sera pas le vôtre; cependant cela fait une grande différence. Tout le monde lira avidement la vie d'un Newton, d'un Pierre le Grand, d'un Cassini; mais qui s'avisera de s'instruire des hauts faits et gestes d'un abbé Coyer,a d'un Marmontel, d'un La Harpe, et gens de leur acabit? Croyez que tout dépend du moment où l'on vient au monde. Un Alexandre le Grand, né de nos jours en Macédoine, ne serait qu'un polisson; et si votre Louis XIV était le petit-fils de Louis XV, il débuterait, en montant sur le trône, par une banqueroute générale, qui ne lui donnerait pas beaucoup de célébrité. Les talents ne suffisent pas seuls, s'ils n'ont les moyens pour les mettre en œuvre. Si le grand Condé avait été capucin, il n'aurait jamais fait parler de lui en Europe; et si Voltaire était né vigneron en Bourgogne, il n'aurait jamais écrit la Henriade. Si César naissait à présent à Rome, il deviendrait peut-être un des monsignori qui se morfondent dans l'antichambre du cordelier Ganganelli, et ..... Ceci est pour les commis des postes, qui, s'ils le jugent à propos, peuvent l'imprimer pour l'édification des fidèles. Vous voyez que je ne néglige aucun de mes correspondants, et que ces messieurs ont leur portion de ma lettre; puisqu'ils ont eu l'impertinence d'en ouvrir quelques-unes, il est juste qu'on s'adresse directement à eux, et aux supérieurs non moins insolents à l'instigation desquels ils agissent.

Grimm vient faire un tour ici; il accompagne le prince héréditaire de Darmstadt. J'espère d'apprendre par lui de vos nouvelles. En attendant, vous pouvez être dans la plus grande tranquillité pour ce qui me regarde; et en vous recommandant à la protection d'Uranie et de Minerve, je fais mille vœux pour votre prospérité. Sur ce, etc.


a Auteur d'une Histoire de Jean Sobieski, roi de Pologne. Paris, 1761, trois volumes in-12.