<522>pour juge impartial sur cette matière. Je pense qu'un philosophe qui s'aviserait d'enseigner au peuple une religion simple courrait risque d'être lapidé. S'il trouvait quelque esprit tout neuf, quelque Américain non prévenu en faveur d'un culte, il pourrait peut-être lui persuader de préférer une religion raisonnable à celles que tant de fables ont dégradées; mais en supposant même qu'on parvînt à propager la religion des Socrate et des Cicéron dans quelque province, sa pureté serait dans peu souillée par quelques superstitions. Les hommes veulent des objets qui frappent leurs sens, et qui nourrissent leur imagination. Nous le voyons chez les protestants, qui, se trouvant attachés à un culte trop nu, trop simple, se font souvent catholiques pour l'amour des fêtes, des cérémonies et des beaux motets dont la religion catholique, apostolique et romaine a décoré les fariboles dont elle a surchargé la simple morale du Christ; témoins le landgrave de Hesse,a Pöllnitz,b et tant d'autres. Mais supposé que vous puissiez retirer les hommes de tant d'erreurs, c'est encore une question de savoir s'ils valent la peine d'être éclairés.

Pour votre roi Louis XIV, ce serait proprement à ses Français à le défendre; il leur a donné de belles manufactures; il leur a donné de belles frontières, et les a si bien fortifiées, qu'il a rendu son royaume presque inattaquable; il a protégé les lettres. Les Français, par reconnaissance, devraient le justifier; mais puisque vous voulez que je sois son Don Quichotte, je prendrai la liberté de vous faire observer que longtemps avant lui les Romains avaient entretenu d'aussi grandes armées que les siennes, et que si nous avions ici cent mille laboureurs de plus, il nous faudrait encore trois cent mille arpents pour les placer; car chaque champ a son maître et des bras suffisants pour le cultiver. Et puis quelle confiance placer dans la foi de tant de princes qui la plupart n'en ont aucune? Et ces marionnettes, que je ne sais quelle fatalité fait agir, qui les jetterait dans un même moule pour en faire des princes pacifiques? Qu'il n'y ait en Europe que deux souverains à tête remuante, cela suffit pour mettre tout en


a Frédéric II, landgrave de Hesse-Cassel, se fit catholique en 1749. Voyez t. XXIII, p. 428 et 429.

b Voyez t. XIX, p. 174, et t. XX, p. 94.