<511>Je me bornerai donc aujourd'hui, si V. M. veut bien me le permettre, à répondre aux deux autres lettres qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire, en date des 26 septembre et 1er novembre.

V. M. paraît surprise de ce que la lettre d'un Tudesque (c'est l'expression dont elle se sert) a été lue en pleine Académie française. Quel Tudesque, Sire, qu'un prince qui écrit de pareilles lettres, soit pour le fond des choses, soit pour le style! Je ne puis dire à V. M. combien tous mes confrères vivants en ont été pénétrés d'admiration et de reconnaissance; et la délibération unanime qu'ils ont prise d'insérer cette lettre dans nos registres est une preuve suffisante des sentiments qu'elle a excités en eux. Quant au défunt abbé d'Olivet, je suis persuadé que si son ombre en a eu quelque connaissance, elle aura pour le moins grincé les dents de n'y pouvoir trouver de solécisme, supposé cependant qu'une ombre ait des dents.

Tout ce que V. M. a la bonté de me dire sur la gloire due aux talents est digne d'une âme telle que la sienne, également équitable et élevée. Oui, Sire, ce baume, comme V. M. l'appelle, est nécessaire aux plus grands hommes, et surtout aux grands hommes persécutés. Les talents éminents et peu considérés dans leur patrie ressemblent assez à ce pauvre indigent qui, n'ayant rien à manger avec son pain, le mangeait à la fumée d'une boutique de rôtisseur. C'est cette fumée qui soutient les philosophes dans leurs travaux; mais cette fumée, Sire, cesse de l'être, et devient une nourriture plus réelle et plus solide, quand elle est dispensée par des héros et par des princes sur lesquels tout leur siècle a les yeux fixés. Je laisse à V. M., ou plutôt à tout autre qu'elle, à faire en cette occasion l'application de cette maxime. V. M. prétend que Voltaire et moi, nous nous égayons sur son compte en la jugeant utile au progrès de la philosophie. Non seulement utile, Sire, mais très-nécessaire; nécessaire par vos ouvrages, qui servent à la fois à nous instruire et à nous éclairer; nécessaire par l'exemple que vous donnez aux souverains de ne point étouffer la lumière sous le boisseau, lorsqu'elle ne demande qu'à se montrer; nécessaire enfin par la protection que vous accordez à ceux qui tâchent de rendre leurs travaux utiles. Voilà, Sire, ce que nous pensons tous, ce que nous