<391>où elles ne sont ni assez lumineuses ni assez nettes. Cependant, quoique vous autres géomètres fêtiez votre Des Cartes pour un nouveau grimoire dont vous lui êtes redevables, et votre Newton pour nous avoir démontré par x plus b l'existence du rien, je confesse que ces génies créateurs peuvent être admirables en algèbre, mais je ne les trouve en aucune manière dignes d'entrer en comparaison avec un raisonneur comme Bayle. Il aurait bien relancé ceux qui lui auraient voulu démontrer l'existence du rien et les facultés occultes que votre rêve-creux d'Anglais a ressuscitées des anciens. Vous voyez donc que Bayle, quoiqu'il ne crée pas d'aussi sublimes absurdités, ne déraisonne au moins jamais; qu'il peut avoir quelques endroits plus faibles que les autres, mais sa dialectique victorieuse ne le quitte jamais, et le suit dans tous ses travaux, comme la seule massue d'Hercule lui suffisait pour exterminer tant de monstres et de brigands. Il n'en est pas ainsi des ouvrages que vous me promettez. Ce sont des fanaux qui m'éclaireront dans les ténèbres de la géométrie, et me donneront une idée de la manœuvre que font vos pilotes pour arriver dans le port des hautes sciences. Je suis, en vérité, tout honteux de ce que vous refusez le baptême et votre nom au satellite de Vénus, qu'on a très-distinctement vu de notre observatoire. Vous aurez malgré cela une place dans le ciel, et, quelle que soit votre modestie, elle ne pourra empêcher votre apothéose; mais je vous conseille de la différer le plus que vous pourrez.

On m'a, pour ainsi dire, presque forcé de prendre la plus maussade créature qui soit dans l'univers pour la mettre dans notre Académie. Il se nomme Lambert, et quoique je puisse attester qu'il n'a pas le sens commun, on prétend que c'est un des plus grands géomètres de l'Europe. Mais comme cet homme ignore les langues des mortels, et qu'il ne parle qu'équations et algèbre, je ne me propose pas de sitôt d'avoir l'honneur de m'entretenir avec lui.a En revanche, je suis très-content de


a Jean-Henri Lambert, né le 26 août 1728 à Mulhouse, en Alsace, vint à Berlin en 1764, et fut présenté au Roi au mois de février de la même année. Il mourut à Berlin le 25 septembre 1777. Voyez, au sujet de la conversation à laquelle Frédéric fait allusion, J. G. Sulzer's Lebensbeschreibung von ihm selbst aufgesetzt, Berlin, 1809, p. 38 et 39, et J. H. Lambert nach seinem Leben und Wirken, von D. Huber. Basel, 1829, p. 14 et suivantes.