<377>Je reçois une lettre de ma nièce de Hollande, qui me marque que, un mandarin chinois étant arrivé à la Haye, elle avait eu la curiosité de le voir et de lui parler par le moyen d'un interprète; qu'il passait pour être fort ignorant et pour avoir peu d'esprit. L'abbé Pauw triomphe de cette nouvelle. Je lui ai répondu qu'une hirondelle ne fait pas l'été, et qu'il faut nécessairement, selon les lois éternelles de la nature, que sur une population de cent soixante millions d'âmes, dont vous gratifiez la Chine, il y ait au moins quatre-vingt-dix millions de bêtes et d'imbéciles, et que la mauvaise étoile de la Chine a voulu que précisément un être de cette espèce eût lait le voyage de Hollande. Si je ne l'ai pas assez réfuté, je vous abandonne le reste.

545. AU MÊME.

Potsdam, 20 avril 1776.

L'abbé Pauw marque une foi sincère pour toutes les relations des jésuites de la Chine de la mort de l'empereur Kien-Long, parce qu'ils l'ont annoncée. Pour moi, en qualité de rigide pyrrhonien, je crois qu'il n'est ni mort, ni vivant. La curiosité s'affaiblit avec l'âge; l'on se resserre dans une sphère plus bornée. Walpole disait : J'abandonne l'Europe à mon frère, et ne me réserve que l'Angleterre. Moi, je me contente de ce qui s'est fait, de ce qui se fait, et de ce qui pourra arriver dans notre Europe.

Louis XVI attire bien autrement ma curiosité que l'empereur Kien-Long. J'ai lu un placet, ou plutôt un remercîment du pays de Gex,a adressé à ce monarque; et, dans l'intérieur de mon âme, j'ai béni le bien que ce souverain a fait, ainsi que ceux qui lui ont donné d'aussi bons conseils. Le parlement aurait dû applaudir aux édits de son souverain, au lieu de lui faire des remon-


a Remontrances du pays de Gex au Roi; Œuvres de Voltaire, édition Beuchot, t. XLVIII, p. 296-301.