<347>faibles ouvrages. Je voudrais bien être à leur place, malgré mes quatre vingt-deux ans. Je suis obligé de vous dire que plusieurs de ces enfants, qu'on baptise de mon nom, ne sont pas de moi. Je sais que vous avez une édition de Lausanne en quarante-deux volumes, entreprise par deux magistrats et deux prêtres qui ne m'ont jamais consulté. Si par hasard le vingt-troisième volume tombait sous votre main, vous y verriez une trentaine de petites pièces de vers tout à fait dignes du cocher de Vertamont.a On n'est pas obligé d'avoir autant de goût à Lausanne qu'à Potsdam.

Ce qui est de moi ne mérite guère plus vos regards. La manie des éditeurs m'a enseveli dans des monceaux de papier. Ces gens-là se ruinent par excès de zèle. Je leur ai écrit cent fois qu'on ne va pas à la postérité avec un si lourd bagage. Ils n'en ont tenu compte; ils ont défiguré vos lettres et les miennes, qui ont couru dans le monde. Me voilà en in-folio, rongé des rats et des vers comme un Père de l'Église.

V. M. verra donc mes éternelles querelles avec les Larcher, et frère Nonotte, et frère Fréron, et frère Paulian, ces illustres ex-jésuites. Ces belles disputes doivent étrangement ennuyer le vainqueur de tant de nations et l'historien de sa patrie. Les jésuites m'ont déclaré la guerre dans le temps même que vos frères les rois de France et d'Espagne les punissaient. C'étaient des soldats dispersés après leur défaite, qui volaient un pauvre passant pour avoir de quoi vivre.

Les jésuites devaient me persécuter en conscience; car, avant qu'on les chassât de France et d'Espagne, je les avais chassés de mon voisinage. Ils s'étaient emparés, sur la frontière de Berne, du bien de sept gentilshommes, nommés MM. de Crassi, tous frères, tous au service du roi de France, tous mineurs, tous très-pauvres. J'eus le bonheur de consigner l'argent nécessaire pour les faire rentrer dans leur terre usurpée par les jésuites. Saint Ignace ne m'a point pardonné cette impiété. Depuis ce temps, Fréron refait la Henriade avec La Beaumelle; Paulian


a Le cocher de M. de Verlamont, mort en 1724, se nommait Estienne; c'était un chansonnier du Pont-neuf, très-célèbre alors. Voltaire le cite assez fréquemment. Voyez ses Œuvres, édit. Beuchot. t. II, p. 323, 329 et 344, et t. XI. p. 8.