<311>

508. A VOLTAIRE.

Potsdam, 12 février 1775.a

Votre muse est dans son printemps,
Elle en a la fraîcheur, les grâces;
Et les hivers, les froides glaces,
N'ont point fané les fleurs qui font ses ornements.

Ma muse sent le poids des ans;
Apollon me dédaigne; une lourde Minerve,
A force d'animer ma verve,
En tire des accords faibles et languissants.

Pour vous, le dieu du jour, Apollon votre père.
Vous obombra de ses rayons,
De ce feu pur, élémentaire,
Dont l'ardeur vous soutient en toutes les saisons.

Le feu que jadis Prométhée
Ravit au souverain des dieux.
Ce mobile divin dont l'âme est excitée,
M'abandonne, et s'élance aux cieux.

Le génie éleva votre vol au Parnasse;
Au chantre de Henri le Grand,
Au-dessus d'Homère et d'Horace,
Les Muses et les dieux assignèrent le rang.

Mars, auquel je vouai ma jeunesse imprudente,
M'éblouit par l'éclat de ses brillants héros;
Mais, usé par ses durs travaux,
Je vieillis avant mon attente.

Quand nos foudres d'airain répandent la terreur,
Que la mort suit de près le tonnerre qui gronde.
Héros de la Raison, vous écrasez l'Erreur,
Et vos chants consolent le monde.

Un guerrier vieillissant, fût-il même Annibal.
En paix voit sa gloire éclipsée;
Ainsi qu'une lame cassée,a
On le laisse rouiller au fond d'un arsenal.


a Le 11 février 1775. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 254.)

a Ainsi qu'une lance cassée. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 251.)