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503. A VOLTAIRE.

Berlin, 5 janvier 1775.

Tout ce qui regarde le procès de d'Étallonde a été envoyé à Paris. Je doute cependant que votre parlement réintégré veuille obtempérer pour justifier l'innocence. L'opiniâtreté d'une grande compagnie et cent formalités inutiles feront que d'Étallonde continuera d'être opprimé; et, s'il était en France, je ne jurerais pas qu'on ne le fît brûler à petit feu.

Si Louis XV a eu du faible pour le clergé, cela paraît tout simple. Il a été élevé par des prêtres dans la superstition la plus stupide, et environné toute sa vie de personnes ou dévotes, ou trop bons courtisans pour choquer ses préjugés. Combien de fois ne lui a-t-on pas dit : Sire, Dieu vous a placé sur le trône pour protéger l'Église; le glaive qu'il vous a donné en main est pour la défendre. Vous ne portez le nom de Très-Chrétien que pour être le fléau de l'hérésie et de l'incrédulité. L'Église est le vrai soutien du trône; ses prêtres sont les organes divins qui prêchent la soumission aux peuples; ils tiennent les consciences en leurs mains; vous êtes plus maître de vos sujets par leur voix que par vos armées, etc.

Qu'on répète souvent de tels discours à un homme qui vit dans la dissipation, et qui n'emploie pas un seul moment de sa vie à réfléchir; il les croira, et agira en conséquence. C'était le cas de Louis XV. Je le plains sans le condamner. Le pauvre d'Étallonde en souffre, et je prévois que je serai son seul refuge.

On a fait votre buste à la manufacture de porcelaine; je sais qu'il mériterait d'être d'une matière moins périssable. Vous voyez cependant, par l'empressement qu'on a de posséder votre ressemblance, combien votre réputation s'accroît. Voici un de ces bustes qui vous ressemblaient autrefois, et peut-être encore.

Je vous le répète, vivez, conservez vos vieux jours; et si la vie vous est indifférente, songez au moins que votre existence ne l'est point au Philosophe de Sans-Souci. Vale.