<167>à la fois; je suis émerveillé, je suis à vos pieds, je vous remercie, je ne sais que dire.

La Providence, pour rabattre mon orgueil, qui s'enflerait de tant de faveurs, veut que les Turcs aient repris la Grèce; du moins elle permet que les gazettes le disent. C'est un coup très-funeste pour moi. Ce n'est pas que j'aie un pouce de terre vers Athènes ou vers Corinthe; hélas! je n'en ai que vers la Suisse; mais vous savez quelle fête je me faisais de voir les petits-fils des Sophocle et des Démosthène délivrés d'un ignorant pacha. On aurait traduit en grec votre excellente réfutation du Système de la nature, et on l'aurait imprimée avec une belle estampe dans l'endroit où était autrefois le Lycée.

J'avais osé faire une réponse de mon côté; ainsi Dieu avait pour lui les deux hommes les moins superstitieux de l'Europe, ce qui devait lui plaire beaucoup. Mais je trouvai ma réponse si inférieure à la vôtre, que je n'osai pas vous l'envoyer. De plus, en riant des anguilles du jésuite Needham,a que Buffon, Maupertuis et le traducteur de Lucrèceb avaient adoptées, je ne pus m'empêcher de rire aussi de tous ces beaux systèmes, de celui de Buffon, qui prétend que les Alpes ont été fabriquées par la mer; de celui qui donne aux hommes des marsouins pour origine; et enfin de celui qui exaltait son âme pour prédire l'avenir.c

J'ai toujours sur le cœur le mal irréparable qu'il m'a fait; je ne penserai jamais à la calomnie du linge donné à blanchir à la blanchisseuse, à cette calomnie insipide qui m'a été mortelle, et à tout ce qui s'en est suivi, qu'avec une douleur qui empoisonnera mes derniers jours. Mais tout ce que m'apprend d'Alembert des bontés de V. M. est un baume si puissant sur mes blessures, que je me suis reproché cette douleur qui me poursuit toujours. Pardonnez-la à un homme qui n'avait jamais eu d'autre ambition que de vivre et de mourir auprès de vous, et qui vous est attaché depuis plus de trente ans.


a Voyez t. IX, p. 182.

b Lagrange, né à Paris en 1738, mort le 18 octobre 1775. Sa traduction du poëme de Lucrèce, De la nature des choses, parut à Paris en 1768, deux volumes in-8.

c Voyez ci-dessus, p. 9.