<144>Pologne contre ces maudits hérétiques, tant grecs que dissidents, et qui se bat pour la plus grande gloire du très-saint-père. Si je n'avais pas lu l'histoire des croisades dans vos ouvrages,a j'aurais peut-être pu m'abandonner à la folie de conquérir la Palestine, de délivrer Sion et cueillir les palmes d'Idumée; mais les sottises de tant de rois et de paladins qui ont guerroyé dans ces terres lointaines m'ont empêché de les imiter, assuré que l'impératrice de Russie en rendrait bon compte. Je borne mes soins à exhorter messieurs les confédérés à l'union et à la paix, à leur marquer la différence qu'il y a entre persécuter leur religion et exiger d'eux qu'ils ne persécutent pas les autres; enfin je voudrais que l'Europe fût en paix, et que tout le monde fût content. Je crois que j'ai hérité ces sentiments de feu l'abbé de Saint-Pierre; et il pourra m'arriver comme à lui de demeurer le seul de ma secte.

Pour passer à un sujet plus gai, je vous envoie un Prologue de comédie,a que j'ai composé à la hâte pour en régaler l'électrice de Saxe, qui m'a rendu visite. C'est une princesse d'un grand mérite, et qui aurait bien valu qu'un meilleur poëte la chantât. Vous voyez que je conserve mes anciennes faiblesses; j'aime les belles-lettres à la folie; ce sont elles seules qui charment nos loisirs, et qui nous procurent de vrais plaisirs. J'aimerais tout autant la philosophie, si notre faible raison y pouvait découvrir les vérités cachées à nos yeux, et que notre vaine curiosité recherche si avidement; mais apprendre à connaître, c'est apprendre à douter.b J'abandonne donc cette mer si féconde en écueils d'absurdités, persuadé que, tous les objets abstraits de nos spéculations étant hors de notre portée, leur connaissance nous serait entièrement inutile, si nous pouvions y parvenir.

Avec cette façon de penser, je passe ma vieillesse tranquillement; je tâche de me procurer toutes les brochures du neveu de l'abbé Bazin;c il n'y a que ses ouvrages qu'on puisse lire.


a Essai sur les mœurs, chap. 53-58. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XVI, p. 150 à 212.

a Voyez t. XIII, p. 24-27.

b Voyez t. X, p. 109, et t. XXI, p. 233.

c Voltaire avait écrit sous ce pseudonyme une Défense de son Essai sur les mœurs.