<13>votre entrée en Saxe comme une infraction du droit des gens. Que dira-t-on dans ces cours? Que vous avez vengé sur vous-même cette invasion; que vous n'avez pu résister au chagrin de ne pas donner la loi. On vous accusera d'un désespoir prématuré, quand on saura que vous avez pris cette résolution funeste dans Erfurt, quand vous étiez encore maître de la Silésie et de la Saxe. On commentera votre Épître d'Erfurt, on en fera une critique injurieuse; on sera injuste, mais votre nom en souffrira.

Tout ce que je représente à V. M. est la vérité même.a Celui que j'ai appelé le Salomon du Nord s'en dit davantage dans le fond de son cœur.

Il sent que, en effet, s'il prend ce funeste parti, il y cherche un honneur dont pourtant il ne jouira pas. Il sent qu'il ne veut pas être humilié par des ennemis personnels; il entre donc dans ce triste parti de l'amour-propre du désespoir. Écoutez contre ces sentiments votre raison supérieure; elle vous dit que vous n'êtes point humilié, et que vous ne pouvez l'être; elle vous dit que, étant homme comme un autre, il vous restera, quelque chose qui arrive, tout ce qui peut rendre les autres hommes heureux : biens, dignités, amis. Un homme qui n'est que roi peut se croire très-infortuné quand il perd des États; mais un philosophe peut se passer d'États. Encore, sans que je me mêle en aucune façon de politique, je ne peux croire qu'il ne vous en restera pas assez pour être toujours un souverain considérable. Si vous aimiez mieux mépriser toute grandeur, comme ont fait Charles-Quint, la reine Christine, le roi Casimir, et tant d'autres, vous soutiendriez ce personnage mieux qu'eux tous; et ce serait pour vous une grandeur nouvelle. Enfin tous les partis peuvent convenir, hors le parti odieux et déplorable que vous voulez prendre. Serait-ce la peine d'être philosophe, si vous ne saviez pas vivre en homme privé, ou si, en demeurant souverain, vous ne saviez pas supporter l'adversité?


a Le 2 décembre 1757, Voltaire écrit au comte d'Argental : « Serait-il possible qu'on eût imaginé que je m'intéresse au roi de Prusse? J'en suis pardieu bien loin. Il n'y a mortel au monde qui fasse plus de vœux pour le succès des mesures présentes. J'ai goûté la vengeance de consoler un roi qui m'avait maltraité; il n'a tenu qu'à M. de Soubise que je le consolasse davantage. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LVII, p. 387 et 388.