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191. AU MÊME.

Aix-la-Chapelle, 2 septembre 1742.

Je ne sais rien de mieux, après vous-même, que vos lettres. La dernière, aussi charmante que toutes celles que vous m'écrivez, m'aurait fait encore plus de plaisir, si vous l'aviez suivie de près; mais à présent je crois être privé du plaisir de vous voir. Je pars le 7 pour la Silésie.

C'est bien ici le pays le plus sot que je connaisse. Les médecins, pour mettre les étrangers à l'unisson de leurs concitoyens, veulent qu'ils ne pensent point; ils prétendent qu'il ne faut point avoir ici le sens commun, et que l'occupation de la santé doit tenir lieu de toute autre chose.

M. Chapel et M. Gutzweiler ne veulent absolument pas que l'on fasse des vers; ils disent que c'est un crime de lèse-faculté, et qu'on ne peut boire de l'Hippocrène et de leurs eaux bourbeuses en même temps dans le petit empire d'Aix. Je suis obligé de céder à leurs volontés; mais Dieu sait comme je m'en dédommagerai, lorsque je serai de retour chez moi!

Je n'ai rien reçu de vous, ni gros ni petit paquet. Je suppose que le prudent David Girard aura tout gardé à Berlin jusqu'à mon arrivée. Je vous assure que je vous tiendrai bon compte de tout ce que vous m'envoyez, et que vous faites par vos ouvrages la plus solide consolation de ma vie.

Adieu, mon cher Voltaire; je vous charge de la nourriture de mon esprit; envoyez-moi tantôt de ces mets solides qui donnent des forces, et tantôt de ces mets fins dont la saveur charmante flatte et réveille le goût.

Soyez persuadé de l'estime, de l'amitié et de tous les sentiments distingués que j'ai pour vous.