163. A VOLTAIRE.

Ohlau, 16 avril 1741.

Je connais les douceurs d'un studieux repos;
Disciple d'Epicure, amant de la Mollesse,
Entre ses bras, plein de faiblesse,
J'aurais pu sommeiller à l'ombre des pavots.

<66>Mais un rayon de gloire, animant ma jeunesse,
Me fit voir d'un coup d'œil les faits de cent héros;
Et, plein de cette noble ivresse,
Je voulus surpasser leurs plus fameux travaux.

Je goûte le plaisir, mais le devoir me guide.
Délivrer l'univers de monstres plus affreux
Que ceux terrassés par Alcide,
C'est l'objet salutaire auquel tendent mes vœux.

Soutenir de mon bras les droits de ma patrie,
Et réprimer l'orgueil des plus fiers des humains,
Tous fous de la Vierge Marie,
Ce n'est point un ouvrage indigne de mes mains.

Le bonheur, cher ami, cet être imaginaire,
Ce fantôme éclatant qui fuit devant nos pas,
Habite aussi peu cette sphère
Qu'il établit son règne au sein de mes États.

Aux berceaux de Rheinsberg, aux champs de Silésie,
Méprisant du bonheur le caprice fatal,
Ami de la philosophie,
Tu me verras toujours aussi ferme qu'égal.

On dit les Autrichiens battus, et je crois que c'est vrai. Vous voyez que la lyre d'Horace a son tour après la massue d'Alcide. Faire son devoir, être accessible aux plaisirs, ferrailler avec les ennemis, être absent et ne point oublier ses amis, tout cela sont des choses qui vont fort bien de pair, pourvu qu'on sache assigner des bornes à chacune d'elles. Doutez de toutes les autres; mais ne soyez pas pyrrhonien sur l'estime que j'ai pour vous, et croyez que je vous aime. Adieu.