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282. DU MÊME.

A ce qu'on appelle le Marquisat, 5 juin 1751.

Du fond du désert que j'habite,
J'écris à mon héros errant,a
Vous courez, Sire, et je médite;
Mais vous pensez plus en courant
Que moi dans mon logis d'ermite.
D'un œil surpris, d'un œil jaloux,
L'Europe entière vous observe.
Vous courez; mais Mars et Minerve
Voyagent en poste avec vous.

Je songe, dans mon ermitage,
A faire encore un peu d'usage
De mon esprit trop épuisé;
A goûter, sans être blasé,
Ce qui reste de ce breuvage;
A m'armer pour le long voyage
Dont m'avertit mon corps usé;
A voir d'un œil apprivoisé
La fin de mon pèlerinage.
Mais, hélas! il est plus aisé
D'être ermite que d'être sage.

La plupart des gens ne sont ni l'un ni l'autre. On court, on aime les grandes villes, comme si le bonheur était là. Sire, croyez-moi, j'étais fait pour vous; et, puisque je vis seul quand vous n'êtes plus à Potsdam, apparemment que je n'y étais venu que pour vous; ceci soit dit en passant.

J'envoie à V. M. ce Dialogue de Marc-Aurèle.b J'ai tâché de l'écrire à la manière de Lucien. Ce Lucien est naïf, il fait penser ses lecteurs, et on est toujours tenté d'ajouter à ses Dialogues.


a Frédéric partit, le 31 mai, de Potsdam pour Magdebourg, Minden, Bielefeld. Emden et Wésel, et, cette tournée militaire et administrative achevée, il revint à Potsdam, Je 23 juin.

b Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XXXIX, p. 359. C'est le même Dialogue entre Marc-Aurèle et un récollet qu'on a placé, par méprise, parmi les Œuvres posthumes de Frédéric II. A Berlin, 1788, t. VI, p. 139-138. Voyez notre t. XIV, p. II et III.