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251. DE VOLTAIRE.

Paris, 31 décembre 1749.

Vous êtes pis qu'un hérétique;
Car ces gens, qu'un bon catholique

Doit pieusement détester,
Pensent qu'on peut ressusciter,
Et que la Bible est véridique;
Mais le héros de Sans-Souci,
En qui tant de lumière abonde,
Fait peu de cas de l'autre monde,
Et se moque de celui-ci.

Et moi aussi, Sire, je prends la liberté de m'en moquer. Mais, quand je travaille pour le public, je parle à l'imagination des hommes, à leurs faiblesses, à leurs passions. Je ne voudrais pas qu'il y eût deux tragédies comme Sémiramis; mais il est bon qu'il y en ait une, et ce n'est pas une petite affaire d'avoir transporté la scène grecque à Paris, et d'avoir forcé un peuple frivole et plaisant à frémir à la vue d'un spectre. V. M. sent bien que je pouvais me passer de cette ombre. Rien n'était plus aisé; mais j'ai voulu faire voir qu'on peut accoutumer les hommes à tout, et qu'il n'y a que manière de s'y prendre. Vous les accoutumez à des choses plus rares et plus difficiles.

Ce que V. M. me fait l'honneur de me mander à propos de la petite commémoration que j'ai faite de nos pauvres officiers tués et oubliés me ravit en admiration. Quoi! vous roi, vous avez eu la même idée, et l'avez exécutée en vers! Vous avez fait ce que faisait le peuple d'Athènes. Vous valez bien ce peuple à vous tout seul. Il est bien juste qu'un roi qui fait tuer des hommes les regrette et les célèbre; mais où sont les monarques qui en usent ainsi? Ils se contentent de faire tuer. Mais vous êtes roi et homme, homme éloquent, homme sensible; vous redoublez plus que jamais mon extrême envie de vous voir encore avant que ma malheureuse machine se détruise, et cesse pour jamais de vous admirer et de vous aimer. La mort me fait de la peine. On vit trop peu. Je crois que le peu de temps que j'ai à pouvoir approcher