<198>des berceaux de grenadiers et d'orangers, et vous ranimeriez ma verve glacée; je jetterais des fleurs sur les tombeaux de Keyserlingk et du successeur de La Croze,b que V. M. avait si heureusement arraché à l'Église pour l'attacher à votre personne; et je voudrais comme eux mourir, mais fort tard, à votre service; car, en vérité, Sire, il est bien triste de vivre si longtemps loin de Frédéric le Grand.

235. A VOLTAIRE.

Le 16 mai 1749.

Voilà ce qui s'appelle écrire. J'aime votre franchise; oui, votre critique m'instruit plus en deux lignes que ne feraient vingt pages de louanges.

Ces vers que vous avez trouvés passables sont ceux qui m'ont le moins coûté. Mais quand la pensée, la césure et la rime se trouvent en opposition, alors je fais de mauvais vers, et je ne suis pas heureux en corrections.

Vous ne vous apercevez pas des difficultés qu'il me faut surmonter pour faire passablement quelques strophes. Une heureuse disposition de la nature, un génie facile et fécond vous ont rendu poëte sans qu'il vous en ait rien coûté; je rends justice à l'infériorité de mes talents; je nage dans cet océan poétique avec des joncs et des vessies sous les bras. Je n'écris pas aussi bien que je pense; mes idées sont souvent plus fortes que mes expressions, et, dans cet embarras, je fais le moins mal que je peux.

J'étudie à présent vos critiques et vos corrections; elles pourront m'empêcher de retomber dans mes fautes précédentes; mais il en reste encore tant à éviter, qu'il n'y a que vous seul qui puissiez me sauver de ces écueils.

Sacrifiez-moi, je vous prie, ces deux mois que vous me promettez. Ne vous ennuyez point de m'instruire; si l'extrême envie


b Jordan. Voyez t. VII, p. I, II, et 3-10; t. XVII, p. II, III, et 53-295.