<13>Les grands hommes sont exposés à cette dernière sorte de persécution. Les arbres dont les sommets s'élèvent jusqu'aux nues sont plus en butte à l'impétuosité des vents que les arbrisseaux qui croissent sous leur ombrage.a C'est ce qui, du fond des enfers, suscita les calomnies répandues contre Des Cartes et contre Bayle; c'est votre supériorité et celle de M. Wolff qui révoltent les ignorants, et qui font crier ceux dont la présomption ridicule voudrait perdre tout homme dont l'esprit et les connaissances effacent les leurs. Supposez pour un moment que de grands hommes s'oublient jusqu'à s'acharner les uns contre les autres; doit-on pour cela leur retrancher le titre de grands et l'estime que l'on a pour eux, fondée sur tant d'éminentes qualités? Le public, d'ordinaire, ne fait point de grâce; il condamne les moindres fautes; son jugement ne s'attache qu'au présent; il compte le passé pour rien : mais on ne doit pas imiter le public dans cette façon de juger les hommes d'un mérite supérieur. Je cherche des hommes savants, d'honnêtes gens; mais enfin ce sont des hommes que je cherche; ainsi je ne dois pas m'attendre à les trouver parfaits. Où est le modèle de vertu exempte de tout blâme? Il est resté dans l'entendement du Créateur, et je ne crois pas qu'il nous en ait encore donné de copie. Je désire qu'on ait pour mes défauts la même indulgence que j'ai pour ceux des autres. Nous sommes tous hommes, et par conséquent imparfaits; nous ne différons que par le plus ou le moins : mais le plus parfait tient toujours à l'humanité par un petit coin d'imperfection.

Pour les frelons du Parnasse, quand ils m'étourdissent de leurs querelles, je les renvoie à la préface d'Alzire, où vous leur faites, monsieur, une leçon qu'ils ne devraient jamais perdre de vue, et à laquelle on ne peut rien ajouter.a

A l'égard des théologiens, il me semble qu'ils se ressemblent


a

Saevius ventis agitatur ingens
Pinus...................................

Horace, le

Odes

, liv. II, ode 10. v. 9 et 10.

a Voltaire dit dans son Épître à madame la marquise du Châtelet, en tète de sa tragédie d'Alzire : « La rouille de l'envie, l'artifice des intrigues, le poison de la calomnie, l'assassinat de la satire (si j'ose m'exprimer ainsi), déshonorent, parmi les hommes, une profession qui par elle-même a quelque chose de divin. » Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. IV, p. 152.