7. AU BARON DE PÖLLNITZ.

(1745.)

J'ai lu votre ouvrage, cher baron, avec beaucoup d'attention, et, comme je sais que vous ne voulez point être flatté, je vous dirai mon sentiment avec beaucoup de franchise. Il me semble que vous n'avez pas été d'accord avec vous-même lorsque vous avez commencé à écrire; car vous devez observer que ce que vous m'envoyez est l'histoire de la vie de mon grand-père, où il n'y a jamais eu d'histoire écrite en style épistolaire, et même vous ne le suivez pas tout à fait. Les lettres doivent avoir des libertés et des réflexions plus familières que le style de l'histoire, qui demande de la gravité. Si donc vous voulez écrire l'histoire des deux derniers règnes, réduisez tout en chapitres; tirez plus de lumières des archives pour ce qui regarde les négociations; abrégez les descriptions, les cérémonies qui sentent la gazette; ne parlez tout au plus qu'une fois de vingt-quatre trompettes et de deux timbaliers; étendez-vous plus sur les grandes affaires, <81>et rejetez toutes les puérilités; ne mettez d'anecdotes que l'espèce qui caractérise la façon de penser de la cour et du souverain, et ajoutez-y de temps en temps des réflexions courtes et en style d'épigramme. Si vous voulez écrire des lettres, prenez un style moins grave, parlez-y davantage vous-même, et suivez le style de vos anciens Mémoires,91-a qui me paraît plus aisé et plus divertissant que ceux-ci. Il me semble, quant au gros de l'ouvrage, que vous ne devriez pas toujours comparer les ministres de mon grand-père avec ceux de Louis XIV, et principalement Danckelman à Colbert; il y a une espèce d'affectation à ces comparaisons toutes prises de la cour de France, qui ne feraient pas un bon effet. Ensuite vous dites de Meinders qu'il avait de la finesse, ce qui serait extraordinaire chez un Allemand; et par-ci par-là vous donnez dans le diffus sur les matières de cérémonies et sur des détails de petits particuliers qui n'intéressent personne, comme j'ai aussi pris la liberté de le marquer en marginale avec du crayon, pour que vous puissiez l'effacer. En un mot, ou écrivez gravement, et mettez plus d'étoffe dans votre ouvrage, ou tenez-vous-en aux anecdotes, que vous ornerez par votre style, qui est badin et enjoué. Toutefois ne vous en tenez point à mon jugement, et consultez vos amis, qui pourront vous dire leurs sentiments.92-a

Adieu, baron; je vous souhaite santé et vie, et tout le reste sera facile à redresser et à faire.


91-a La première édition de ces Mémoires parut à Amsterdam en 1734, en quatre volumes in-12, qui contiennent les derniers voyages de l'auteur, faits de 1729 à 1733, et racontés en cinquante-quatre lettres.

92-a Le baron de Pöllnitz corrigea ses Mémoires, et en présenta, en 1745, le premier volume à la reine douairière Sophie-Dorothée, à qui il les dédia. Plus tard il retoucha encore son ouvrage, comme on peut le voir dans l'édition de 1791, la seule qui en ait été faite, et qui fut publiée à Berlin par F.-L. Brunn, d'après le manuscrit de 1754, sous le titre de : Mémoires pour servir à l'histoire des quatre derniers souverains de la maison de Brandebourg royale de Prusse. Le manuscrit présenté en 1745 à la reine douairière, rédigé en forme de lettres et renfermant les règnes de l'électeur Frédéric-Guillaume et de Frédéric Ier, se trouve à présent dans la bibliothèque de M. Benoni Friedländer.