<58>quatre-vingt-sept mille deux cents livres. Il en a avancé l'argent, et Cramer le lui a vendu à vie quarante mille francs. Il fait actuellement une édition complète, en cinq volumes, de son Histoire universelle. Il paraît fixé à demeurer dans ce pays-là, ainsi que madame Denis; ils y ont fait venir tous leurs meubles et tous leurs livres. Voilà des vers qu'il a faits sur la ville de Lyon :

Il est vrai que Plutus est au rang de vos dieux,
Et ce n'est pas tant pis pour votre aimable ville;
Il n'a point de plus bel asile.
Ailleurs il est aveugle, il a chez vous des yeux;
Il n'était autrefois que dieu de la richesse,
Vous en faites le dieu des arts.
J'ai vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole et les eaux du Permesse.b

M. de Fontenelle a été à la mort; il en a rappelé, et, malgré ses quatre-vingt-dix-neuf ans, il dîne hors de chez lui tous les jours, comme il a fait toute sa vie. Son esprit est toujours gai, et il ne doit cet état qu'à la tranquillité de son caractère. Il n'y a pas trois ans qu'il fit cet impromptu :

Heureux qui ne connaît que ce drôle immodeste
Qui du sexe est toujours vainqueur!
On sait où le mettre de reste;
On ne sait où placer son cœur.

Cela est si plaisamment philosopher à quatre-vingt-dix-neuf ans, que je me flatte que V. M. me pardonnera de lui parler de cette polissonnerie.

Les comédiens français représentent avec succès la tragédie de Philoctète, de M. de Châteaubrun, auteur des Troyennes, que l'on donna il y a un an. Les caractères d'Ulysse et de Philoctète y sont heureusement rendus d'après Homère; cet ouvrage est semé de vers bien faits et de maximes admirables. Un financier dit l'autre jour, à propos de cette pièce : « Cela est assez beau, mais j'aime encore mieux le Sophocle d'Euripide. » Les plaisants


b Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIV, p. 421 et 422.