114. AU MÊME.

...... 127-aPenitusque in viscera lapsum
Serpentis furiale malum, totamque pererrat;
Tum vero infelix, ingentibus excita monstris,
Immensam sine more furit lymphata per urbem.127-b

La Discorde, s'étant approchée d'Amate, empoisonna son cœur, et elle devint furieuse contre Énée. Vous voyez bien qu'il ne <113>suffit pas de se battre, et qu'il est plus difficile de réduire de méchantes femmes que des hommes vaillants. Je désire autant la paix que mes ennemis ont de l'éloignement pour elle, et, si nous faisons des efforts, il faut l'attribuer à la nécessité :

Saeva necessitas industriam parit.

Vous pourrez vous amuser encore cette année-ci par les gazettes, non de ce qui se passe sur la montagne de l'Apalache127-c et de la querelle des merluches,127-c mais de ce qui décidera de la liberté ou de l'esclavage de l'Europe, qu'un nouveau triumvirat veut subjuguer. Si j'en avais le choix, j'aimerais mieux me trouver dans le parterre que de représenter sur le théâtre; mais, puisque le sort en est jeté, il en faut tenter l'aventure.

Sed nil dulcius est, bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quaerere vitae.128-a

Federic.


127-a Le manuscrit de cette lettre est de la main d'un secrétaire, et n'est que signé par le Roi, qui semble vouloir persifler les fréquents passages latins qu'Algarotti, à l'exemple de Montaigne, avait coutume d'insérer dans ses lettres. Dans une lettre à d'Argens, sans date, Frédéric dit : « Quand je suis assez heureux que d'accrocher quelque passage latin, je compare aussitôt mes lettres à celles d'Algarotti, et je m'en impose à moi-même. » Le marquis d'Argens, de son côté, dit dans sa lettre à Frédéric, du 9 mars 1763 : « Non sunt miscenda sacra profanis. Votre Majesté voit que je sais, ainsi qu'Algarotti, citer du latin dans mes lettres. »

127-b Virgile, Énéide, liv. VII, v. 374-377.

127-c Les mots Apalache et merluches font allusion aux causes de la guerre que les Anglais et les Français se faisaient alors en Amérique. Voyez t. VI, p. 10.

128-a Lucrèce, De la nature des choses, liv. II, v. 7-10. Voyez t. XI, p. 53.