51. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 15 septembre 1749.



Sire,

La dernière lettre dont Votre Majesté m'a honoré est si remplie de bonté, qu'il m'est impossible d'en remercier V. M. autant que je suis capable de sentir combien je lui dois. Ma santé, Sire, à laquelle V. M. daigne prendre autant de part, irait mieux, si le mauvais temps qui est survenu n'avait troublé l'effet des eaux. J'en suis à la fin, et je m'en vais me mettre au vin de vipère, en <67>gardant toujours un régime fort exact, et surtout le soir, où je ne soupe point du tout. Ce que V. M. m'a fait l'honneur de me mander touchant ce beau génie qui fait tant d'honneur au siècle me fait gémir sur l'humanité. L'embryon dont madame du Châtelet doit accoucher est charmant. V. M. donnerait bien de la besogne à plus d'un Plutarque, s'il fallait écrire toutes ses belles actions et recueillir tous ses bons mots.

Tartini me mande, Sire, que son meilleur écolier, Pasquale Bini, a été obligé de quitter le service qu'il avait à Rome, et qu'il en cherche ailleurs. Il a la confiance de s'adresser à moi pour que je tâche de placer un homme auquel il s'intéresse comme à un de ses meilleurs ouvrages. L'orchestre de V. M. est trop bien pourvu pour qu'il puisse aspirer à son service. J'ai cru pourtant, Sire, qu'il était du devoir d'un serviteur de V. M. de ne pas recommander ailleurs un tel homme, si recommandable par la supériorité de son talent, avant que V. M. sût qu'elle était la maîtresse d'en disposer.