34. DU MÊME.

Dresde, 11 juillet 1742.



Sire,

Je me trouve précisément, par rapport à Votre Majesté, dans un cas tout semblable à celui où se trouva jadis Horace par rapport à Tibère. « Puisque Septimius, lui écrivait-il,53-a me force, seigneur, à vous le recommander, et croit que ma recommandation sera puissante pour lui faire obtenir une place auprès de vous, il sait apparemment beaucoup mieux que moi-même le crédit que je puis avoir auprès de votre personne. J'ai eu beau faire pour éviter une pareille commission, il m'a fallu enfin céder, et risquer, seigneur, de vous être peut-être importun, pour ne point paraître peu serviable à mes amis. » Si V. M. veut maintenant substituer à Septimius M. le marquis Galeazzo Arconati, Milanais, qui est auprès du nonce à Cologne, et à la place auprès de Tibère la prépositure de Soest, en Westphalie, qui doit vaquer par la mort du baron de Fürstenberg, elle saura de quoi il s'agit. Je prends la liberté d'en écrire à V. M., forcé par les instances d'une personne à qui je ne saurais le refuser, et qui exige de mon amitié d'en écrire seulement à V. M., persuadé d'ailleurs que la grâce sera accordée. V. M. verra par là si l'Italie est le pays de la foi. Pour moi, Sire, qui respire depuis longtemps l'air ultramontain, je lui ai écrit que le nombre des aspirants à ces places était, dans ses États, fort nombreux, comme il le serait partout ailleurs; que je ne croyais pas que V. M. voulait préférer un étranger et un inconnu à des gentilshommes ses sujets, et qui avaient peut-être versé leur sang à son service; <48>que d'ailleurs je ne voyais nullement les raisons qui le feraient juger que ma recommandation auprès de V. M. valût mieux que celle de tout autre; bref, qu'il pouvait croire tout ce qu'il voulait, mais qu'il n'aurait rien, et qu'il pouvait regarder la prépositure comme un véritable objet de la foi. J'espère que V. M. voudra bien, en grâce au moins du véritable jugement que j'ai porté sur tout ceci, me pardonner depositum, comme dit Horace, ob amici jussa pudorem,54-a et qu'elle me permettra de la féliciter encore une fois sur la prépositure que V. M. a sur les affaires d'Europe, qui est un objet réel et véritable. Si ses augustes ancêtres, pour me servir d'un morceau de harangue de V. M., levaient leurs têtes sacrées et poudreuses du fond de leurs respectables tombeaux, que de belles choses ne diraient-ils pas à V. M. pour avoir porté la grandeur de sa maison et la gloire de ses armes à ce point d'élévation que V. M. seule pouvait atteindre et saura conserver! Ils diraient de V. M., en style à la vérité un peu gothique, la valeur à peu près de ce que Virgile disait d'Auguste :

Imperium terris, animos aequabit Olympo.54-b

Je commence à parler à V. M. le langage de ces Muses qu'elle va cultiver et caresser, pour qui la Sprée va devenir l'Hippocrène, et Rheinsberg le Parnasse. A propos de ces Muses, que V. M. va loger aussi superbement à Berlin, je la prie de me permettre de lui envoyer moi-même les trois inscriptions que j'avais imaginées pour les trois bâtiments que l'on va construire, à la requête de son architecte Apollodore;54-c elles sont un peu changées depuis le temps qu'elles ont été faites.

Pour le théâtre :54-d

Federicus Borussorum Rex compositis armis Apollini et Musis donum dedit;

<49>pour l'Académie des sciences :

Federicus Borussorum Rex Germania pacata Minervae reduci aedes
sacravit
;

pour le palais :

Federicus Borussorum Rex amplificato imperio sibi et Urbi.

La première, Sire, qui exprime le présent que V. M. fait du théâtre à Apollon et aux Muses, après avoir posé la foudre, est imitée d'une inscription qui est sur un obélisque qu'Auguste transporta d'Égypte à Rome, et dont il fit présent au Soleil dans le champ de Mars, après avoir réduit ce royaume en province romaine. Il ne fallait pas, je crois, Sire, pour ce qu'on doit faire à Berlin, chercher des modèles autre part que dans Rome triomphante.

La seconde exprime, comme V. M. voit, d'une manière simple et antique, la dédicace que V. M., comme grand pontife, fait d'un temple à Minerve, qui est de retour après la pacification de l'Allemagne, ouvrage de ses mains.

La troisième, aussi courte que son palais sera vaste, dit que V. M., après avoir reculé les bornes de son empire, a bâti pour son usage particulier autant que pour l'ornement de la ville en général. Ici encore, Sire, je puise dans Rome, et appelle Berlin la Ville, tout court, ou la Ville par excellence, ainsi qu'en usaient les anciens par rapport à Rome. J'appelle aussi les États de V. M. imperium, suivant la latinité de Cicéron, plutôt que celle de la bulle d'or.

Si V. M. permettait qu'après son nom on ajoutât le titre de Silesiacus, les inscriptions n'en seraient que mieux : on rendrait à V. M. tout ce qu'on lui doit. V. M. a assurément mérité ce titre mieux que beaucoup d'empereurs n'ont mérité celui de Dacicus ou Parthicus, et autant que Drusus a mérité celui de Germanicus.

Il est peut-être un peu ridicule qu'un auteur se commente lui-même, surtout devant un lecteur aussi éclairé que V. M.; mais, Sire, j'ai dans mes commentaires en vue, plutôt que de la convaincre de la bonté de mes inscriptions, de lui faire sentir l'admiration et le profond respect avec lequel je suis, etc.


53-a Épîtres, liv. I, ép. IX.

54-a Épîtres, l. c., v. 12.

54-b Énéide, liv. VI, v. 783.

54-c Le baron de Knobelsdorff. Voyez t. VII, p. 37-42.

54-d Dans sa lettre à Knobelsdorff, du 10 novembre 1742, Algarotti propose l'inscription telle qu'elle a été placée au frontispice de l'Opéra : Federicus (Fridericus) Rex Apollini et Musis. Voyez Opere del Conte Algarotti. Cremona, 1783, t. IX, p. 16.