21. A M. DE SUHM.

Berlin, 3 juillet 1736.



Mon cher Diaphane,

Je n'ai reçu qu'hier les deux paquets que vous m'avez fait le plaisir de m'envoyer. Je vous en remercie de tout mon cœur, en vous assurant que je ne lis aucun cahier de votre ouvrage sans me ressouvenir en même temps à quels devoirs la reconnaissance m'engage. J'avais déjà corrigé la faute qui se trouve dans le paragraphe 282, en substituant, comme vous me le marquez, au mot entendement celui d'imagination.

Enfin, mon cher Suhm, l'on peut professer la philosophie à tête levée et sans plus craindre les foudres du pédagogue, ni le fantôme de l'irréligion. La raison reprend l'empire qui lui est dû, et l'erreur s'en ira chercher son refuge dans les cerveaux étroits de quelques génies faibles, et dans le giron de la superstition.

J'en viens à la dernière lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire; mais qu'en puis-je dire, sinon que l'amitié aveugle que vous avez pour moi vous fait estimer un chétif mortel au delà de son prix? Les couleurs flatteuses avec lesquelles vous me peignez me masquent si avantageusement, que je ne me reconnais plus. Enfin vous prêtez l'attribut de la perfection à un être qui en est bien éloigné, et qui remarque, par tout ce qui lui est connu de lui-même, qu'il est marqué au coin de l'humanité aussi bien que le dernier galérien. Je passe à l'endroit de votre lettre qui m'est le plus flatteur, et où, pour ainsi dire, vous me donnez une hypothèque sur votre personne. Quelle acquisition pourrais-je faire au monde qui me fut plus agréable? Que l'on m'offre <273>tous les trésors du Pérou, je ne balance pas un moment entre le choix que je devrais faire, et je trouve en vous un trésor qui m'est plus utile que tous ceux que la masse grossière et matérielle de ce monde pourrait offrir. Vous savez que mon cœur est incapable de se démentir, et qu'il ne se sert de ma plume que pour exprimer d'une manière figurée ses sentiments.

Si mon cœur dans mes vers ne parle par ma plume,
Que le feu qui l'anime aussitôt le consume.

Je pars demain pour la Prusse. Le voyage sera de quatre semaines, pendant lesquelles notre fameux précepteur Wolff sera ma compagnie. Adieu, mon cher Diaphane. Il est superflu de vous répéter tous les vœux que je fais pour la réussite de vos desseins. Puisse votre sort, d'une manière inséparable, être uni au mien! Puissé-je un jour vous témoigner ma reconnaissance autant que je le désirerais, et que chaque jour me fournisse l'occasion de vous réitérer de vive voix les sentiments de la plus parfaite estime qui fut jamais!

Je suis,



Mon cher Diaphane,

Votre très-fidèle ami,
Frederic.