37. AU MÊME.

Ruppin, 15 novembre 1739.



Mon cher Camas,

Je vous félicite de votre heureux retour dans votre garnison, et je ne vous trouve aucunement à plaindre dans votre solitude. Une aimable femme, de bons livres et de la bonne chère sont toutes des choses qui ne rendent aucun ermite malheureux; au contraire, c'est peut-être la quintessence de la vie, et ce qu'il y a de plus raisonnable à faire dans ce monde. Si vous appelez cela s'ennuyer, je m'ennuierai volontiers avec vous toute ma vie. Nous nous préparons ici à remonter sur le grand théâtre de la capitale, et à profiter des plaisirs dont vous faites la description vraie et <168>naturelle. J'avoue que dans ces moments-là je vous plaindrai plus qu'à l'ordinaire de ce que vous n'êtes point en passe de profiter de nos divertissements; et je me sens même assez de charité pour présenter requête pour vous, afin que vous changiez la garnison de Francfort pour celle de Berlin. Le Roi y souscrira de bon cœur, principalement si on lui allègue le motif de vos plaisirs. Mais puisque je ne voudrais point faire de démarche sans votre aveu, je suspendrai cette affaire jusqu'à ce que je sois informé de votre volonté là-dessus. Ne pouvant donc vous être utile pour vos plaisirs bruyants, souffrez que je rende quelque service à votre volupté, et que je l'abreuve de bon vin de Champagne et de Bourgogne. Caton, l'austère Caton égayait bien quelquefois sa sagesse avec du nectar de Falerne; pourquoi le gouverneur de Francfort n'enluminerait-il pas la sienne avec le nectar de Champagne, qui le cède aussi peu à celui de Falerne qu'il le cède à Caton?

Adieu, cher et digne ami; mes compliments à madame, que j'estime de tout mon cœur. Soyez bien persuadé que je n'en fais pas moins à votre égard, et que j'ai été, je suis, et je serai toujours votre parfait ami,

Federic.

(Vingt-cinq bouteilles de Bourgogne; vingt-cinq de Champagne.)