<41>

3. AU MÊME.

Cüstrin, 19 février 1732.



Mon très-cher ami,

Jugez, mon cher général, si je dois avoir été fort charmé de la description que vous faites de l'abominable objet de mes désirs. Pour l'amour de Dieu, que l'on détrompe le Roi sur son sujet, et qu'il se ressouvienne bien que les sots, pour l'ordinaire, sont les plus têtus. Aussi il y a quelques mois qu'il écrivit une lettre à Wolden, où du moins il voulut me donner le choix de quelques princesses; je n'espère qu'il se donnera le démenti. Je m'en rapporte entièrement à la lettre que Schulenbourg vous donnera, car il n'est ni espoir de bien, ni raison, ni fortune qui puisse me faire changer de sentiment, et malheureux pour malheureux, cela est égal. Que le Roi pense seulement qu'il ne me marie pas pour lui, et que c'est pour moi; et lui-même il aura mille chagrins de voir deux personnes qui se haïssent, et le plus malheureux mariage du inonde, d'entendre des plaintes mutuelles qui lui seront autant de reproches d'avoir dressé l'instrument de notre joug. En bon chrétien, qu'il réfléchisse si cela est bien fait de vouloir forcer les gens, de causer des divorces, et d'être cause de tous les péchés qu'un mariage mal assorti nous fait commettre. Je suis déterminé plutôt à tout au monde, et puisque les choses sont ainsi, vous pouvez faire savoir d'une certaine façon au Duc, arrive ce qui peut, que je ne la prendrai jamais. J'ai été malheureux toute ma vie, et je crois que c'est mon destin de le rester; il faut se patienter, et prendre le temps comme il vient. Peut-être qu'une fortune si subite qui suivrait tous les chagrins dont j'ai fait profession depuis que je suis au monde m'aurait enorgueilli. Enfin, arrive ce qui veut, je n'ai rien à me reprocher; j'ai assez subi pour un crime exagéré, et je ne veux pas m'engager à étendre mes chagrins jusqu'aux temps futurs. J'ai encore des ressources, et un coup de pistolet peut me délivrer de mes chagrins et de ma vie; je crois que le bon Dieu ne me damnerait pas pour cela, et, ayant pitié de moi, en échange d'une vie misérable, m'accordera le salut. Voilà à quoi le désespoir peut <42>porter une jeune personne dont le sang n'est pas si rassis que celui d'un septuagénaire. Je me sens, monsieur, et, quand on hait autant que moi les voies de la force, que notre sang bouillant nous porte toujours vers les extrémités.

J'approuve fort l'estafette de l'Empereur, qui condamne la démarche insensée de sa belle-sœur. Quel ridicule cette femme ne se donne-t-elle pas dans le monde, qui rejaillit sur sa fille par conséquent! S'il y a des honnêtes gens dans le inonde, ils doivent penser à me sauver d'un pas des plus périlleux où jamais j'aie été. Je me consume dans des idées mélancoliques, et je crains bien de ne pouvoir dissimuler mon chagrin. Voilà l'état où je me trouve; mais il ne me fera jamais changer à votre égard, mon cher général, étant avec une parfaite estime et toute la considération imaginable,



Mon très-cher général,

Votre parfaitement affectionné ami et serviteur,
Frideric.

J'ai reçu une lettre du Roi, où il paraît bien coiffé de la princesse, et je crois que je pourrais encore finir la huitaine ici. Quand le premier feu de l'approbation est passé, en la louant on peut faire apercevoir ses défauts au Roi. Mon Dieu, n'a-t-il pas encore assez vu ce que c'est qu'un mariage mal assorti, ma sœur d'Ansbach et M. son mari qui se haïssent comme le feu? Il en a mille chagrins tous les jours. Et à présent, si je dois vivre avec elle comme mari, il faut qu'elle soit belle, que nous sympathisions d'humeur; sans cela il est impossible que jamais je l'aime. Et quel but le Roi intente-t-il par là? Si c'est de s'assurer de moi, ce n'en est pas le moyen. Madame d'Eisenach le pourra faire, mais point une bête, et, au contraire, moralement il est impossible d'aimer l'auteur de notre malheur. Le Roi est raisonnable, et je suis persuadé qu'il comprendra cela lui-même. Prévenons donc le malheur à temps, afin que nous n'ayons pas lieu de nous repentir de notre négligence.