<292>Mon libraire en cette ville m'a envoyé la traduction de la Logique de Wolff, par M. des Champs.a Je l'ai aussitôt parcourue des yeux avec avidité, et elle m'a paru bonne. Je suis ensuite tombé comme par hasard sur l'Épître dédicatoire, que je n'avais point d'abord remarquée. Je ne vous le cacherai point, monseigneur, mon cœur a tressailli en y voyant, à la tête, le nom de V.A. R., et un sentiment inconnu a fait bouillonner mon sang dans mes veines. Je crois, car pourquoi ne l'avouerais-je pas ingénument? je crois que c'était un mouvement d'envie. Mais, cette première impression passée, la raison a aussitôt repris son empire, et m'a aidé à étouffer un sentiment si indigne d'une personne que vous honorez de tant de bontés. Pour prix d'un aveu si plein de franchise, j'ose espérer que V. A. R. ensevelira à jamais dans l'oubli le souvenir de cette faiblesse, et daignera m'épargner par là la confusion dont le moindre mot de sa part sur ce sujet ne manquerait pas de me couvrir.

J'ai donc lu cette Épître avec le vif intérêt que m'inspire tout ce qui regarde V. A. R.; et, me mettant à sa place, c'est-à-dire, m'élevant bien loin au-dessus de moi-même par le sentiment de ses sublimes qualités, j'ai cru éprouver pour elle quelque embarras à cette lecture; non que V. A. R. ne soit, par toutes ses belles vertus, bien au-dessus de toutes les louanges, toutes vraies, quoique trop fadement exprimées, de cette Épître, mais parce que sa grande modestie refuse absolument de se reconnaître dans son propre portrait, et en est même d'autant plus embarrassée, plus la peinture en est fidèle. Mais ne voilà-t-il pas que, sans m'en apercevoir, je retombe moi-même dans la faute que V. A. R. m'a déjà si souvent reprochée! Pardonnez, monseigneur, mon cœur seul était coupable; c'est lui, c'est la vivacité de ses sentiments qui me surprend, qui me séduit chaque fois que je viens à parler de vous. Ma volonté vous est parfaitement soumise, et ne peut vous désobéir; mais le sentiment l'emporte. Cependant il le faut, puisque vous le voulez; je veillerai donc sur moi-même, et m'interdirai absolument, au moins envers vous, ces douces effusions d'un cœur trop plein de votre auguste


a Voyez t. XIV, p. 323, et la lettre de Frédéric à Voltaire, du 9 septembre 1736.