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2. A MADAME DE ROCOULLE.

Rheinsberg, 17 février 1738.



Madame,

Je me souviens des torts que la manche zélée d'un certain prêtrea fit un certain mercredi sur votre buffet, soit par un motif de scandale que le petit volume des verres lui donnait, soit parce que sa philosophie abhorre le vide. Enfin, quelle que soit la raison qu'il a eue, vous vous souviendrez toujours, madame, que vos verres furent cassés. C'est un événement qu'il est nécessaire de vous rappeler, puisqu'il me fournit aujourd'hui l'agréable prétexte de vous écrire.

Votre échanson, madame, cet indigne membre de votre ordre joyeux, ne pouvant manifester son zèle pour la compagnie dont vous êtes la protectrice qu'en restituant les sujets de sa domination que cet ardent ecclésiastique a détruits, votre échanson, dis-je, s'ingère à vous envoyer le présent le plus fragile qu'on puisse faire, exclusivement de la faveur des rois.

Recevez ces verres, madame, comme une marque de mes attentions, et comme un tribut que je rends au révérend collége des mercredis. J'espère que la taille de ces verres les garantira de l'aventure désastreuse de leurs prédécesseurs. Vous en userez à tel usage qu'il vous plaira. Je ne prétends point qu'ils soient conservés comme le feu des vestales; je me flatte même qu'en peu leur nombre se trouvera diminué. Vous penserez alors à moi, et vous me donnerez lieu de répéter l'envoi que je vous fais à présent.

Il me semble entendre le marquisa et Truchsess s'écrier que je ferais bien mieux d'avoir soin du Champagne que de verres vides, clairs, nets et bien rincés. Ils n'ont pas tout à fait tort, j'en conviens; je tâcherai de profiter de l'avis, entre lequel temps je les renvoie aux cruches de Cana, dont l'eau fut changée en vin délicieux. Je leur souhaite de tout mon cœur un semblable miracle pour le salut de leur âme et de leur corps, et à vous, ma-


a M. Achard. Voyez ci-dessus, Avertissement, no VII, et p. 119-126.

a Le marquis de La Chétardie.