<160>plus une chose qu'on se dise à l'oreille; c'est la fable de la ville, tout le monde en est témoin, et tout le monde en parle; et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que j'ignore encore mon crime, si ce n'est celui d'être son héritier présomptif. Il est indubitable que de méchantes gens soufflent ce feu, et que les humeurs de la goutte et le tempérament bilieux du Roi n'y contribuent pas moins. J'apprends à tenir contenance, et depuis les trois semaines que je suis ici, j'en ai déjà appris assez pour m'entendre dire les choses du monde les plus choquantes sans changer de visage, sans m'émouvoir, et de commencer un discours, à la suite de ces injures, où il ne paraît pas seulement que je les aie ouïes. Je voudrais bien cependant que si le Roi ne peut pas se résoudre d'avoir envers moi les sentiments d'un père, ou si ma physionomie a le malheur de lui déplaire, il me laissât à Remusberg, à l'écart. Il en couverait moins sa bile, et j'en serais plus heureux. Vous me demandez quelle est la maladie du Roi. C'est une goutte volante qui n'a pas voulu se fixer, et qui, après être passée du bras gauche dans le genou droit, de celui-là dans le gauche, et du genou gauche à la plante du même pied, s'est enfin dissipée, jusqu'à une enflure près, qui, je crois, se perdra par la transpiration.

Je vous souhaite tous les plaisirs que nous n'avons point, et tout le repos qui nous manque, vous priant de me croire à jamais,



Mon cher Camas,

Votre très-fidèle ami,
Federic.

31. AU MÊME.

Berlin, 10 janvier 1739.



Mon cher Camas,

La sensibilité que vous me témoignez pour ce qui me regarde ne laisse pas de me consoler des chagrins que j'ai endurés, et je me suis dit, en lisant votre lettre :

Les dieux sont pour César, mais Caton suit Pompée.a


a Voyez t. XV, p. 150.