<159>un de ces bonnets fendus qui avait présenté le goupillon au grand lama. Je me rendis dans sa maison, où je fus reçu avec ce que les Italiens appellent le puntiglio, qui sont des cérémonies auxquelles nous autres Chinois, nous avons le bonheur de ne rien comprendre. Après plusieurs questions sur mon pays, où j'entrevis plus de dédain et d'ignorance que de politesse et de connaissances, mon mage se mit à disserter sur la grandeur de sa nation; il me conta longuement qu'autrefois ils avaient été les conquérants de l'univers, et qu'à présent, quoique prêtres, ils ne renonçaient pas à gouverner le monde. Je ne pus m'empêcher de lui repartir qu'il faisait bien de me dire que les Italiens avaient été autrefois des conquérants, parce que, en vérité, à présent on aurait peine à s'en douter. Sur quoi il entama un long discours où il prétendit me prouver invinciblement que les grandes actions de ces Romains n'étaient rien, parce qu'ils n'avaient pas eu ce qu'il appelle la grâce; mais qu'eux autres les surpassaient beaucoup, parce qu'ils avaient cette grâce, cette prédilection divine, et qu'ils gouvernaient l'Europe par une espèce de foudre qu'ils appellent la parole, et ce qu'ils appellent encore excommunication, ce qui atterre tous les rois lorsqu'ils les en menacent. Je lui dis que je trouvais à la vérité l'avantage des Romains modernes sur les anciens très-beau; mais que si tout ce qu'il m'avait conté de ce peuple conquérant était vrai, je ne pouvais m'empêcher de lui dire qu'il me semblait qu'ils avaient beaucoup dégénéré, et que je préférais les lauriers des anciens aux tonsures des modernes. Ah, profane! s'écria-t-il, je vois bien que vous n'avez pas le goût des choses célestes; vous ne serez jamais qu'un Chinois, qu'un aveugle empêtré dans la chair et le sang. - Pour Chinois, lui dis-je, je me fais honneur de l'être; mais pour aveugle, cela est différent, et je parie bien que vous seriez très-fâché que votre peuple eût de petits yeux aussi perçants que les miens. - Point de colère, mon cher Phihihu, me dit-il; vous avez des yeux pour apercevoir les objets des sens, mais votre âme, qui ne sait point s'exalter, n'a point d'yeux pour apercevoir les choses intellectuelles. - Ah! lui dis-je, bonze orgueilleux des fausses lueurs que vous avez prises dans vos écoles, apprenez à connaître le divin Confutzé, et vous verrez que ses sectateurs sont capables