<192>Dans votre heureuse liberté,
Tout semble créé pour vous plaire;
La vérité sans contredit,
Souvent dure et toujours sévère,
Ne vaut pas, lorsqu'on l'applaudit,
Une jouissance en chimère;
Être heureux, c'est la grande affaire,
Et dans ce séjour imposteur
Où tout est fiction et songe,
Qu'importe qu'en nous le bonheur
Naisse dans le sein de l'erreur?
Chérissons-en jusqu'au mensonge.
On l'a tant dit, nous sommes tous,
Les uns plus, les autres moins fous;
Ce fait me semblant très-probable,
Choisissez la folie aimable :
De tous les agréments pour nous
Elle est la source intarissable.
Pour jouir longtemps de ce bien,
Gardez-vous d'approfondir rien;
Tout est prestige en cette vie.
Des objets de votre folie,
En fidèle épicurien,
Effleurez la superficie.
Vos plaisirs sont comme une fleur,
Cueillez-la d'une main légère;
A sa nuance, à sa couleur,
Au doux parfum de son odeur
S'attache un prix imaginaire.
Ah! nos sens ont tout à risquer
De qui veut métaphysiquer;
La rose, sous la main profane
Qui s'obstine à la disséquer,
Perd tout son éclat et se fane.
Le monde, et sans rien excepter,
S'échappe dès qu'on le pénètre;