<170>Et l'esprit révolté contre ses fers s'aigrit.
Le fatal ascendant du sort qui m'enveloppe
Infecte mes esprits d'un poison misanthrope :
J'ai pris ma vie en haine, et le jour en horreur;a
Et lorsque la raison adoucit cette aigreur,
Qu'un intervalle heureux permet que je respire,
D'un désastre nouveau l'on s'empresse à m'instruire :b
Pour nourrir ma douleur, hélas! que d'aliments!
J'épanche en votre sein mes secrets sentiments.
Jamais l'ambition ni l'intérêt infâme
N'ont pu tenter mes sens ni subjuguer mon âme :
Un sentiment plus grand, plus noble et généreux.
Au sortir du berceau m'embrasa de ses feux.
Mon cœur vous est connu; vous savez qu'il dédaigne
Les symboles pompeux d'un despote qui règne,
Que, souvent entouré d'un appareil si vain,
Vous m'avez toujours vu moins roi que citoyen.
Mais ma philosophie et mon indifférence
Ne vont point à souffrir l'injuste violence
De ce complot de rois qui, sans se rebuter,
D'un trône chancelant veut me précipiter.
Qui foule aux pieds l'orgueil déteste la faiblesse,
Endurer un affront, cher marquis, c'est bassesse;
De ce trône envié, tout prêt à succomber,
Je descendrais sans peine, et n'en veux pas tomber.
Peut-être qu'autrefois, enchanté par l'histoire,
J'ai sacrifié trop à l'amour de la gloire;
L'exemple séduisant de tant d'hommes fameux
Me remplit du désir de m'élever comme eux.
Mais bientôt, redressé par la philosophie,
J'appris par ses conseils à réformer ma vie,
A rejeter l'erreur, chérir la vérité;


a Racine dit dans Phèdre, acte I, scène 3 :
     

J'ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur.

b Le Roi parle ici des échecs que les généraux Platen et Knobloch essuyèrent en Poméranie, le 20 et le 25 octobre, et dont la suite fut la perte de Colberg, le 16 décembre. Voyez t. V, p. 150-152.