<62>Qu'importent les grandeurs, présents de la fortune?
Qu'importe de Crésus l'inutile trésor?
Le sage fuit des rois la faveur importune,
Les biens sont le jouet du sort.
Ces noms si fastueux, qui font trembler la terre,
D'arbitres des humains, de foudres de la guerre,
Ces noms, à qui l'erreur érige des autels
Qui sont le digne prix des fléaux des mortels,
S'achètent par le sang, le meurtre et le carnage.

Remarquez ce héros si fier de son courage,
Dont l'intrépide cœur méprise le danger,
Qui brave mille morts au front de son armée,
Et qui dans le péril brûle de s'engager :
Dans le fond de son cœur, il craint la renommée
Et ce que l'univers de lui pourra juger.

Qu'auraient fait les vainqueurs des Gaules et d'Asie,
Vous, Alexandre, et vous, César,
Sans de vaillants soldats, prodigues de leur vie,
Et sans le secours du hasard?
L'un, au lieu d'être roi, né pâtre en Macédoine,
N'aurait point renversé le trône de Cyrus;
L'autre, sans l'argent de Crassus,
Sans l'orgueil de Pompée et sans le bras d'Antoine,
N'aurait point asservi les Romains abattus.

Ces destins sont fameux, mais leur vicissitude
Mêle l'amertume au bonheur :
Quel est donc ce frivole honneur
Qu'on ne doit point à soi, mais à la multitude?